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une vie de tto
21 janvier 2016

La fierté d'une mère

La fierté d'une mère

C'est plus fort qu'elle, ma Môman ne peut s'empêcher de me raconter les histoires des uns et des autres avec lesquels elle maintient un lien par delà les années et les circonstances. C'est humain ... mais cela lui permet parfois de se rassurer.

- Tu sais, j'ai eu Ludwig au téléphone pour la nouvelle année ...
- Ah ? Et ?

[Ludwig est de ces gens qui ne font pas partie de la famille mais qui y sont entrés il y a très longtemps. Il était jeune, ma grand-mère était une femme si aimante qu'elle adorait suppléer ou combler quelques carrences d'écorchés de la vie qui n'avaient pas eu les meilleures chances au départ. Ludwig a bénéficié ainsi de cette aile protectrice qui l'a rapproché de mon Pôpa, faisant en sorte que sans être amis, ils se sont suivis ... ma Môman ayant continué quand mes parents se marièrent. Ludwig a fait sa vie de son côté, il a conduit des bateaux, il s'est marié, il a eu des enfants et tous les ans, ils s'appellent avec mes parents. Jadis, nous avons passé quelques jours chez lui, à Calais ... le personnage m'est toujours apparu très rugueux et écrasant. Tous les ans comme par habitude et avec fidélité, ils comparent leurs vies.]

- Bah c'est pas brillant tu sais ... Bon bah, je n'ai parlé qu'à lui puisque Pierrette [sa femme] ne me parle plus. Je ne comprends pas pourquoi d'ailleurs ...
- C'est peut-être qu'elle n'en a pas envie, surtout si ce n'est pas brillant !
- Oui mais je la trouvais tellement gentille ...
- ...
- Donc Ludwig m'a expliqué qu'ils ont encore le dernier sur les bras. Tu te souviens de Karl ?
- C'est le dernier ?
- Mais oui et tu sais, il a 32 ou 33 ans maintenant mais il est complètement schizophrène, pour de vrai hein. Il dort 14 heures par jour, sa mère le met dans une voiture tous les après-midis, elle le promène sur la côte, ils vont prendre un chocolat et deux heures après, ils rentrent. C'est un légume Tto ...
- Oui, 14 heures de sommeil par jour mais c'est qu'il est shooté non ?
- Bah oui, sinon il casse tout, il casse la gueule à tout le monde. C'est affreux quand même ...
- Ouais ...
- Et tu vois, ça c'est à cause de tout ce qu'il a fait avant. Ludwig en est persuadé ! C'est la drogue ça. Ca l'a complètement foutu en l'air. Il fumait en permanence pendant des années ... Faut dire que son père n'était jamais là, toujours à vaquer ... D'ailleurs, c'est finalement tous leurs enfants qui ... [ses yeux rougissent]
- Oui enfin ... tous les pères absents n'ont pas provoqué des drogués ni des schizophrènes ! Ce qui est triste c'est qu'il est foutu et que c'est une charge pour ses parents alors qu'à son age, il pourrait faire autre chose ! Il était doué lui non ?
- Oh pas tant que cela ... C'est Alex, le second qui était très doué en maths. Mais lui tu vois, ils n'ont plus de nouvelles. Il travaille à Montpellier, il ne veut plus leur parler. Armelle, l'ainée, bon elle est épileptique ... elle a demandé à sa mère de venir habiter à côté de chez elle mais ils ne peuvent pas ! Ils ne peuvent pas laisse Karl comme ça ...
- C'est assez inextricable en effet ...

Ma Môman se perd alors dans le vide de son regard, posé quasi mécaniquement sur son jardin. Elle est accablée, les mains jointes et posées sur sa bouche. Je la vois, en pleine détresse, abîmée par tant de difficultés qui ne sont pas les siennes mais qui la concerne malgré tout, parce qu'ils se sont suivis dans leurs vies, aprce qu'elle a de l'affection pour ces gens là. Elle est fidèle ma Môman ...

- Tu vois Tto ... c'est terrible ce qui leur arrive. Karl, oui tu as raison, il est foutu. Il pèse 120 kg et quand ses parents mourront, il va se passer quoi ? C'est effrayant de se dire que c'est un tel échec. Il s'est shooté, il a fait tous les mélanges possibles et voilà ...
- Il a fait les mauvais choix Môman. C'est une charge pour la société et d'abord ses parents qui voient tous les jours ainsi matérialisé leur échec. J'imagine à quel point ça doit être dur mais c'est certainement pour cela que Pierrette ne veut pas te parler. Peut-être qu'elle ne le peut plus, elle n'en a plus la force ...
- Oui, certainement. Avec ton père, quand j'ai raccroché, on a parlé tu sais. On s'est dit qu'on a eu beaucoup de chance parce que ton frère et toi, vous nous avez préservés de tout cela. C'est quand je pense à cela que je me dis qu'on peut vous remercier de tout cela ...
- Je pense qu'on a fait des choix judicieux. Après, on n'a pas tout réussi non plus mais on ne peut pas se plaindre, faut pas déconner.
- Oui, on a de la chance de vous avoir comme vous êtes !
- Tu sais, je crois qu'il n'y a pas que du hasard là dedans. J'espère que vous êtes persuadés que vous y êtes vraiment pour quelque chose. On a fait avec ce qu'on avait et vous nous avez donné ce qu'il fallait pour qu'on fasse ce que l'on a fait.
- Ouais ... on a de la chance de vous avoir ...

Ces paroles sont rares chez ma Môman. Par pudeur, elle n'exprime de tels sentiments que face à une douleur importante. Je suis d'accord avec elle : on est bien comme on est et ça aurait pu être bien pire que cela. Je me suis souvent plaint que mes parents ne m'aient pas assez félicité ou dit "bravo" ... j'ai pris cette discussion comme l'expression d'une fierté.

Tto, content

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