L'irraisonnable monopole de la question du vivre ensemble
Mon billet de dimanche dernier m'aura appris une chose [en plus de celles que je savais déjà, notamment que l'on est toujours surpris de l'emballement que provoque des choses dont on se dit qu'elles vont raser tout le monde], c'est que l'ambiance du moment est délétère. Ce n'est pas que je l'ignorais, ce n'est pas que je ne m'en doutais pas, ce n'est pas que je ne participe pas non plus d'une telle morosité ... c'est juste qu'en relisant dimanche ce que j'avais écrit quelques jours plus tôt, je ne pensais pas avoir autant raison ni taper aussi juste. Entre le moment de l'écriture et celui de ta lecture, on a appris que Leonarda séchait plus les cours qu'on ne l'avait dit, la question du droit du sol a été (re)dégoupillée par une UMP cherchant à se donner une contenance d'opposition et BFMTV a été rebaptisée BFN TV [ce qu'elle n'a pas volé à jouer les Fox News cocardière].
Ces réflexions sont venues en écho à ce que j'ai croisé la veille : Alain Finkelkraut. Ah ... ce cher Alain. réac ténébreux pour certains, rhéteur distillant des énormités pour d'autres, génie nationaliste pour les fans, lepénisation des esprits faite philosophe pour ses détracteurs. L'avantage de Finkelkraut, c'est qu'il est comme Nabilla, il ne laisse pas indifférent. Chez Ruquier, il a développé un argumentaire censé conduisant à des conclusions dont je pense qu'elles sont sélectives [en ce qu'elles ne sont pas les seules pouvant être retenues, d'où une certaine subjectivité de son propos] mais elles tiennent debout. Aymeric Caron, en revanche, a été nul et c'est bien là le problème de faire traiter ce genre de sujets par des journalistes qui n'analysent pas mais ne font que jouer d'une posture partisane. Outre le ridicule de Caron, ce qui m'ennuie c'est que cela prive Finkelkraut d'avoir à se justifier sur ses options personnelles ce qui serait plus intéressant que de lui opposer des incantations hitlériennes caricaturales qui, in fine, donnent du crédit à tout ce qu'il dit. Le journalisme humano-universaliste est devenu presque plus dangereux pour la démocratie que n'importe quoi d'autre. Làs ... je préfère revenir sur quelques points au sujet desquels l'apport de Finkelkraut est de nature à nourrir la discussion plutôt que de faire sans cesse son procès pour des erreurs passées qui n'ont pas de lien direct avec le débat qu'il lance aujourd'hui sur l'identité ...
Que dit Finkelkraut ? Déjà que le thème de l'identité n'est pas le monopole des nationalistes et encore moins du Front National et que la frilosité des partis politiques républicains à se saisir de la question et la traiter relève d'une posture minchoise semblable à celle que les démocraties européennes adoptèrent avant le déferlement de la terreur hitlérienne. Oui, je partage son avis sur le fait qu'évacuer un sujet au motif qu'il est le lit d'un argumentaire spécieux de Marine Le Pen et ses affidés serviles est une erreur monumentale qui prépare des jours bien sombres. Je participe de cette idée que l'intégration ne se fait pas au rabais et est facilitée lorsqu'elle est un enrichissement commun et non un renoncement collectif. L'enrichissement commun, c'est de diversifier les visions du monde en ouvrant les portes à des hommes et des femmes qui ont l'ambition de faire grandir le pays qui les acceuille. Le renoncement collectif, c'est se poser la question de la laïcité en stigmatisant certains comportements et certains cultes. Finkelkraut verse parfois dans le reflexe stigmatisant en expliquant que les coups portés à la laïcité sont le fait des musulmans islamistes ce à quoi on ne peut que lui rétorquer que les dernières manifestations pour le mariage ouvert à tous les couples démontrent qu'un tel monopole n'existe pas ...
La question de l'identité est évidemment centrale parce qu'elle génère en elle la transmission et l'héritage. Outre cela, elle pose la question du "vivre ensemble" et je pense que le véritable problème de la France aujourd'hui est celui-ci. Les français veulent-ils encore vivre ensemble ? Quand je les vois se balancer des injures à toutes occasions sur la route, quand la lutte des classes refait surface de façon effroyable, quand les marqueurs politiques sont nauséabonds, quand Twitter sert de défouloir pestilentiel à certains qui n'imaginent pas les conséquences de ce qu'ils écrivent, oui je m'interroge comme Finkelkraut sur ce dénominateur commun du vivre ensemble sans arriver aux mêmes conclusions.
"La France, tu l'aimes ou tu la quittes" disait Philippe de Villiers en écho aux grondements lepenistes des années 90 ... Nicolas Sarkozy avait paraphrasé en disant "S'il y en a que ça gênent d'être en France, je le dis avec le sourire mais avec fermeté, qu'ils ne se gênent pas pour quitter un pays qu'ils n'aiment pas" ... Que répondre à cela devant la misère et la désespérance actuelle ? Que c'est logique et que d'autres démocraties semblables à la France gèrent les choses ainsi certes ... Mais aimer la France, c'est quoi ? C'est facile de considérer qu'aimer ce pays, c'est accepter sans broncher alors que l'Histoire a démontré que la France s'est construite aussi à l'impressionnisme d'influences diverses dont celles de ses arrivants. En revanche, aimer la France c'est l'accepter avec ses principes fondamentaux comme la laïcité pour reprendre un thème cher à Finkelkraut.
De toute cela, Marine Le Pen n'a pas le monopole et en parler n'est pas être lepeniste, facho ou que sais-je encore ... La lepenisation des esprits existe oui mais à refuser de parler d'intégration au motif que l'on serait alors un acquis à la cause FN donc un fasciste donc un nazi donc un hitlérien, on fait le lit de ce mouvement totalitaire qui ne livre aucune solution autre que celle d'expliquer qu'il faut sortir les sortants pour leur confier la place alors qu'ils ne font la preuve de rien d'autre que de démagogie. Droite et gauche sont médiocres ? Certes mais elles assurent encore la démocratie. Le Front National, avec son ADN d'extrême droite, ne promet pas autre chose qu'un Etat autoritaire et totalitaire à l'instar des régimes dont il est nostalgique ou ceux antisémites et xénophobes existants, auxquels il tire la révérence. Pire ! Le Pen a un programme [ou ce qui en tient lieu tant il est un chapelet démagogue incohérent et inepte] qui relève du national socialisme de gauche pas si éloigné du bolchevisme !! Y voir des solutions porteuses d'avenir serait comme demander au médecin de vous inoculer la tuberculose parce qu'on peine à vous soigner de la grippe.
Débattons donc de tout, de l'immigration, du comportement scandaleux d'associations humanistes internatioanles qui sont les alliées objectives et paradoxales des nationalistes, de l'identité française ... de tout ! Et pour ce qui est de l'identité, considérons que vivre ensemble implique, comme le dit Finkelkraut quelques renoncements dont celui, notamment et je suis à nouveau d'accord avec lui sur ce point, du renoncement à l'estime de soi ... l'Aidos. Comme en amour, il n'y a pas que des mots, il y a des preuves ...
Tto, qui trouve que tout cela est bien inquiétant