Un soir que j'étais en pleine crêperie entrain de rigoler bêtement, mon frangin débarque affolé comme si le noyau nucléaire venait de dissoudre, me fixe dans les yeux et me dit que j'ai reçu un appel important et qu'il faudra que je rappelle dès que je rentre mais qu'il se pourrait bien que je devienne prof dans les jours à venir.

Je rentre, j'appelle, le lendemain je file à Cergy pour rencontrer le prof à qui j'ai parlé la veille [ça va ? Tu suis ?] et l'affaire est conclue. Je commence huit jours plus tard et en repartant, on me donne le programme avec un dernier conseil :
"Vous serez très bien. Mais rappelez-vous La clef, c'est de les intéresser. Ce sont des premières années !"

En regardant le programme, pendant quelques jours, j'ai cherché comment je pouvais rendre intéressants le Code d'Hammourabi, la construction juridique des civilisations antiques ... à des jeunes de 18/20 ans. Pas évident hein ? Parce que bon, c'est bien gentil de me dire qu'il faut rendre sexy un truc qui ne l'est pas, mais c'est que je ne suis pas Gérard Majax moi ! Ok ok, le Droit, déjà ... je sais par expérience qu'il y en a les trois quarts qui vont se demander ce qu'ils fichent ici et pourquoi ils ont coché ce truc là lors de l'émission des choix d'orientation post-Bac.

Moi déjà, ça m'intéresse moyennement le Code d'Hammourabi, les clans de la Haute Perse et tout le tralala ... Sauf que c'est clair : s'il y en a bien un qui ne peut pas se permettre de montrer qu'il trouve ça moyen, c'est bien moi ! Pas question coco ... Et comme tout va bien, c'est qu'il faut que je sois motivé pour rendre le jour même 4 cours d'un bloc avec une petite pause d'une heure le midi [d'un autre côté ... une heure c'est super suffisant].

En regardant le programme pour les semaines à venir, j'entrevois quelques thèmes sympas sur l'Egypte, sur la Grêce, sur Rome, le christianisme, etc ... Comme en plus je ne suis pas du genre thésard bien rangé et discipliné, il n'est évidemment pas question que ce soit chiant hein !! Ça tourne donc à la vitesse d'un accélérateur à particules dans ma tête et finalement, après un wikende à travailler comme un fou furieux [euh oui ... à l'époque je vendais des chaussures tout le wikende et je n'avais pas fini mes propres études hi hi hi], j'arrive à la conclusion que ça va être hard de chez hard mais que ça me botte bien même si je suis effrayé comme une arachnophobearachnophobearachnophobearachnophobe qu'on plongerait dans une piscine de mygales.

La veille, tendu comme un string XS qu'on aurait donné à Josiane Balasko, je répète ma prestation de dans quelques heures ... Tout est clair dans ma tête, sauf que je suis pétrifié à l'idée d'avoir à faire face à 30 paires d'yeux qui vont me scruter, boire chacune de mes paroles, essayer de me choper si le moindre signe de faiblesse transparaît ... Top tension quoi ! Je refais 400 fois mon speech d'introduction, la façon dont je vais cadencer le temps qui m'est imparti et j'en arrive à la conclusion suivante : ça va aller mais le plus dur sera le premier cours à 8h ...

Après avoir dormi quelques petites heures [trop ... au point que l'on aurait pu légitimement me demander pourquoi j'étais sorti du Musée Grévin], je saute dans mon RER à 6h20 du matin ... je te rappelle que je suis tout, sauf du matin. Cergy, pour moi en fonction de l'endroit où j'habite, c'est quand même à l'autre bout de la planète. Nous sommes début octobre ... il fait nuit noire et ... il n'y a finalement pas grand monde dans le RER ...

1h10 après, j'arrive ... Je sors à Cergy Préfecture en me disant que s'il y a une grève, il y a des chances pour que je déclare forfait ... 7h40, je suis dans les couloirs de la fac ... ça bruisse de conversations d'étudiants. Je ne décoince pas le moindre sourire, j'adopte ma posture faussement flegmatique et j'entre dans la salle réservée aux profs [celle devant laquelle je suis si souvent passé en étant moi-même étudiant]. Cette fois, j'ai le droit ... et même pire, on m'y attend pour me donner le matériel pédagogique, administratif et quelques consignes ... C'est merveilleux le personnel administratif universitaire. Même à 7h45, c'est imperturbablement pas concerné et totalement détaché de toute notion de service [et je ne te parle pas de l'amabilité].

Je m'extirpe du bunker chargé comme une bourrique ... j'ai tout, la salle et le reste ... J'arrive devant la salle ... Franchement, je n'avais pas besoin d'être assurable tellement on me regardait, scrutait [c'est là qu'il ne faut surtout pas se planter, tomber ou tout laisser échapper sinon là ... c'est foutu]. Flegmatique as ever, j'entre dans la salle, j'allume la lumière, je m'installe tandis que j'entends sans trop les regarder la masse des trente étudiants investir l'espace ... je laisse passer une ou deux minutes ... j'avise ma montre sur laquelle je constate que la grande aiguille est bien sur le 12 tandis que la petite est figée sur le 8 ... il est temps d'y aller. Je me lève pour aller fermer la porte ... une retardaire [classique] entre à ce moment là en s'excusant ... Face à elle, je renferme lentement cette porte et mécaniquement j'entends derrière mon dos le silence se faire. Le plus dur maintenant est de se retourner ...

Il est pile 8 heures et il est temps pour Tto le prof d'entrer en scène.

To be continued