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une vie de tto
29 mai 2019

La vulgarisation du vulgaire

Vulgarité

J'ai lu dernièrement un article qui me fait beaucoup réfléchir : l'époque moderne est-elle plus vulgaire ? C'est France Culture qui pose la question.

Mais, comme de tradition, j'ai ouvert mon dictionnaire par le mot mérite tout de même quelques précisions. 

VULGAIRE : 

I. − Adjectif
A. − [Sans valeur péjorative et en parlant d'une chose]
a) Dans une acception vieillie ou littéraire, ce qui est admis, pratiqué par la grande majorité des personnes composant une collectivité, appartenant à une culture; qui est répandu. Synonyme de banal, commun, courant, ordinaire, trivial. Autrement, croyance, interrogation, moralité, observation, opinion, pensée, préjugé, préoccupation, satisfaction, vérité vulgaire.
b) En parlant d'une langue, ce qui est spécifique, qui est réservé à l'usage oral.
Par opposition à scientifique, technique, ce qui appartient à la langue courante, usuelle.
En parlant de tout ou partie d'une personne ou d'une chose, ce qui est identique, semblable aux autres individus, aux autres objets de son espèce. Synonyme d'anodin, banal, ordinaire.
Dans le registre des sciences naturelles, ce qui présente les caractères communs de l'espèce sans autre trait distinctif.
c) Avec parfois une connotation péjorative en fonction du substantif qui suit, ce qui ne dépasse pas la moyenne. Synonyme de quelconque, banal.

B. − Péjoratif
1. [En parlant d'une chose concrète ou abstraite] Ce qui est ordinaire, courant, conventionnel; qui perd tout intérêt du fait de sa fréquence, de sa répétition.
2. [En parlant d'une personne, de son attitude, de son comportement]
a) Qui n'a aucune élévation morale, qui est ordinaire, prosaïque.
b) Qui manque d'éducation, de distinction; qui se conduit de façon grossière, qui ne se conforme pas aux règles du savoir-vivre.
c) [Par métonymie], ce qui dénote la grossièreté, le manque de distinction.
On observe que "Vulgaire" peut être associé a) tantôt à la pauvreté b) tantôt à la richesse quand celle-ci s'expose sans discrétion
En parlant de productions orales, du langage, ce qui choque la bienséance par son caractère grossier dans l'expression ou dans le contenu.
Mais aussi, ce qui caractérise le discours de personnes frustes; qui n'est pas conforme à l'usage normatif.
3.
a) [En parlant d'une chose concrète] Ce qui manque de finesse, de délicatesse; qui est de qualité médiocre.
b) Ce qui est jugé de mauvais goût ou comme manquant de distinction.

II. − Substantif masculin
A. −
1. Dans une acception vieillie ou littéraire, désigne le commun des hommes, ceux qui n'ont aucune particularité, aucune spécialité; ceux que rien ne distingue.
2. Dans une acception péjorative, désigne la partie la moins distinguée, la plus commune d'une société. Synonyme de populace.
B. − En tant que substantif masculin singulier à valeur de neutre, désigne ce qui est ordinaire, commun, trivial.

Dérivé :
Vulgarisme, substantif masculin : Désigne l'expression propre aux personnes peu instruites et qui est rejetée par le bon usage.

Bon ... ça fixe déjà un peu les chose et tu envisages aisément que c'est le versant péjoratif du mot qui intéresse et non son caractère générique.

Bertrand Buffon consacre un ouvrage à la question, "Vulgarité et modernité" édité chez Gallimard.
Le retour en force de la vulgarité "est concomitant du triomphe de l’idéologie néolibérale, qui pousse à leur dernière extrémité certains traits de la modernité – individualisme, utilitarisme, consumérisme – et soumet un à un les différents pans de la vie sociale à la logique du marché." écrit-il et c'est vrai que cela a du sens dans une société où l'individu est centralisé, boursouflé et totalement marchandisé au point que l'on a admis qu'il fallait légiférer pour réguler le commerce des informations personnelles et nominatives. 

Selon l'auteur [et c'est particulièrement ce qui me passionne], "l’idée de norme a changé de sens, désignant, non plus ce qui est excellent, et donc rare, mais ce qui est le plus fréquent". Les modèles d'une élite appartenant au passé sont brûlés et ceux qui tenteraient de reprendre le flambeau s'y consument parce qu'il n'y a plus de héros, de saint ou même de sage autrement que par exception [le Colonel Beltrame étant un contre-exemple, comme Mamoudou Gassama qui sauva des enfants d'un balcon]. On confond les références d'antan, les élites considérées comme étant désuètes pour porter au pinacle la vulgarité se déversant sur différents écrans ou plateaux de télévision comme un signe d’émancipation affiché à l’égard des conventions, évidemment surannées. On se gausse de l'ancien monde décrié par le Président de la République mais on ne cesse de se vautrer dans ce raccourci pour légitimer les ruptures, les outrances ou les provocations qui n'ont plus la saveur de celles dont les années 80 nous gratifièrent dans un contexte un peu différent. Bertrand Buffon évoque la "transvaluation des valeurs" qui aurait été préparée par l'ère consumériste et j'ajoute que l'ambiance "café du commerce" qui prévaut un peu partout sur les écrans de télévision, les ondes radio comme les réseaux sociaux n'arrange rien à l'affaire.

Tout le monde a une opinion sur tout [des crétins qui sont incapables d'aligner une phrase sans faute d'orthographe en sont à exiger que "Game of thrones" se finisse différemment parce que là c'est nul] et même ce qui procède de délits est dissimulé sous le masque de l'opinion pour pouvoir être prononcé. Ainsi en est-il de l'homophobie ou de l'antisémitisme [qu'artificieusement on maquille aussi en antisionisme] ... Tout est prétexte a une prévalence de l'individu, ledit individu se mettant en scène tous les jours et à toute occasion, flattant son narcissisme au nombre de followers glanés sur Twitter ou selon les coeurs ramassés sur Instagram au prix de clichés aguicheurs qui n'ont pas d'autre intérêt que de masser voluptueusement le nombril de ceux qui abusent d'un narcissisme alarmant et illusionnant pour échapper à l'indigence d'une existence qui ne sera jamais celle qu'ils ont rêvé. On rapporte souvent l'abîme actuelle en relatant qu'à la question "qu'est ce que tu veux faire plus tard ?", certains répondent "être connu". Au delà du vertige que cela suppose, c'est véritablement d'être reconnu que constitue la priorité de celles et ceux qui, pour exister, se vautrent dans une vulgarité sidérante. L'effet loupe grossissante des réseaux sociaux amplifie le mouvement, Cyril Hanouna comme les autres se nourrissent de ce sirop dévastateur dont je m'effraie d'envisager qu'il fasse basculer définitivement du côté Orwellien de "1984" où tout devra être su et contrôler, ou qu'il impose un retour à un ordre moral établi comme un corset dont les dystopies comme "The Handmaid's Tale" montrent la rigueur [préparant peut-être les esprits ...].

On m'objectera que j'alimente ce que je dénonce en me répandant ici tous les jours, en jouant d'une certaine vulgarité parfois voire même que je conte une bonne partie de ma vie pour briller et être reconnu à mon tour. Je n'en disconviens pas mais j'ai pris des précautions pour éviter de devenir la caricature dont je parle : je ne montre jamais mon visage ni mon corps. Je n'évoque pas grand chose qui puisse permettre de m'identifier précisément. Je ne poursuis pas la notoriété non plus. Je reconnais certaines facilités de langage qui pourraient apparaître vulgaires [le côté "pute-à-clic" m'amuse ... et encore, je le maîtrise si mal que les billets Bambou Magique sont rarement ceux qui recueillent le plus d'audience] mais c'est pour m'en amuser. Ce faisant, je suis à l'image de mon époque en ne restant pas dans une caverne à l'abri de toute lumière [j'ai des comptes ouverts sur tous les réseaux sociaux possibles, ne me servant marginalement que de certains et délaissant d'autres] mais je ne crois pas étaler les indiscrétions de ma vie. Bien sûr, je pourrais éviter de parler de mes désirs et cantonner ces discussions à un cercle moins ouvert mais j'ai appris que l'on fait aussi de savoureuses rencontres en multipliant les possibilités d'échange. Pour autant, je ne m'affiche pas [ni moi, ni mon anatomie alors que je ne suis pas très pudique] ...

La vulgarité n'est pas la crudité, la vulgarité est définitivement ce qui procède du manque d'éducation, de savoir-vivre, de distinction ou qui amène à se conduire de façon grossière. Montrer son sexe n'est pas forcément vulgaire, l'exhiber de façon putassière est très symptomatique de la vulgarité contemporaine que je croise ici et là, surtout si c'est pour ajouter des "chiennes et salopes" à la queue-leu-leu pour jouer d'un certain style. Certains ne montrent plus quelque chose parce qu'ils ont envie d'en partager la beauté, mais pour faire envie. Ça fait vieux con mais c'est vrai que la transvaluation des valeurs m'interroge ...

Tto, perplexe

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Commentaires
T
"Certains ne montrent plus quelque chose parce qu'ils ont envie d'en partager la beauté, mais pour faire envie." Tu mets les mots justes sur quelque chose que je ne parvenais pas à formuler depuis un petit moment. Raison qui me pousse progressivement à mettre en silence la majeure partie des "stories" sur Instagram et autres réseaux sot-ciaux. <br /> <br /> <br /> <br /> La perte du rare comme valeur et le postulat contemporain selon lequel, au nom d'une égalité de façade, tout le monde devrait pouvoir accéder à tout et en quantité illimitée, sont une véritable plaie. Mais je suis peut-être un peu trop judéo-chrétien dans ma conception morale des choses...
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P
Merci de ce billet, cher Tto. Si vous ne les avez pas déjà lus, puis-je vous recommander des classiques : "La distinction", de Pierre Bourdieu, et "La civilisation des mœurs", de Norbert Elias ? Cordialement.
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