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une vie de tto
24 juin 2018

L'antichambre de la mort

Tu connais mes classiques vignette

Quitte à parler de classiques, autant aller fouiner chez Wolfgang pour s'en payer une tranche et pas n'importe laquelle, une tranche qui sonne comme la quintessence émotionnelle.

Romantisée, étouffée par des commentaires lyriques, la Messe de Requiem en ré mineur fait partie des grandes légendes musicales, chargé de rumeurs plus ou moins ésotériques qu'aucune vérité ne pourra faire reculer. Les musicologues ont tous une opinion, les thèses se succèdent les unes les autres et pourtant Mozart a produit là une oeuvre unique, tout à fait remarquable des autres requiems, alliant un envoûtement des voix avec une musique lugubre qui sied si bien aux ténèbres qu'elle célèbre. A ce degré là, le génie est pulvérisé et le divin est à toucher du doigt ...

Œuvre bien sûr inachevée, le requiem se compose de treize morceaux dont la paternité a pu être à peu près établie. Eybler maïs surtout Süssmayr dont l'écriture musicale et graphologique s'apparentait tant à son maître, ont permis le pieux mensonge de Constance qui répondait d'ailleurs à un autre mensonge, moins honorable celui-là, du Comte Wallseg, commanditaire de l'œuvre. Ah oui, ne te laisse pas embobiner par la légende reprise par Milos Forman selon laquelle ce serait Salieri qui aurait précipité le compositeur dans les bras de la faucheuse en lui commandant cette oeuvre ... 
Requiem et Kyrie sont totalement de la main de Mozart. La plupart du Dies Irae, Tuba Mirum, Rex Tremendae, Recordare et Confutatis sont à peu près de Mozart, Sussmayr n'orchestrant qu'à partir des données précises du Maître.
Le Lacrymosa, point culminant de l'œuvre, est bien esquissé par Mozart lui-même mais poursuivi à partir de la huitième mesure par Sussmayr.

L'Offertoire est également majoritairement composé par Mozart et orchestré par Sussmayr. Mais, le Sanctus, le Benedictus et l'Agnus Dei sont tout entiers de Sussmayr qui, humblement et intelligemment, reprendra des thèmes initiaux voire des thèmes d'œuvre de jeunesse de Mozart. Cette histoire aujourd'hui connue par les travaux de Massin et de Robbins Landon, importe peu en définitive puisque le rôle de Sussmayr dans l'oeuvre prodigieuse est celui d'un couturier.

Plus que les affres de paternité de l'œuvre qui déchaînent les musicologues et mozartistes avertis, c'est la volonté d'édifier une fausse légende de Mozart, hanté par la mort et porté par sa foi d'enfant dans le catholicisme qui interroge. Cette mort pieuse ainsi répandue vient masquer la fin amère de Mozart, saisi pour dettes, et dont les pensées allaient toutes entières vers l'idéal maçonnique. Le clergé ne s'y est pas trompé et c'est ainsi que Mozart est mort sans sacrement et sans prêtre, tout juste en chantonnant quelques mélodies de la "Flûte Enchantée". Pourtant, il ne faut pas sous-estimer l'impact sur Mozart, très superstitieux, faible et mourant, de ces intrusions du messager gris du Comte Wallseg. Mozart en différant sans cesse l'écriture définitive de sa Messe des Morts, rusait indubitablement avec sa propre mort, et il avait clairement conscience d'écrire son propre Requiem, en cela le film de Forman épouse une thèse que l'on peut considérer comme proche de la réalité. Il ne voulait pas l'achever et ses liens avec la musique religieuse restaient très forts.
La coloration sereine et consolatrice, l'orchestration grave sont directement liées à sa pensée maçonnique. Finalement dans cette oeuvre unique, Mozart reste devant la liturgie de la mort, comme dans l'urgence de la vie, tendre, grave, parfois impatient, serein et furieux de vivre. 

Comprendre le Requiem de Mozart, c'est comprendre l'attitude de Don Juan face au Commandeur, face à l'Enfer. L'homme est émouvant, transi de peur, mais il ne renie jamais sa grandeur humaine. 

De fait, le Requiem de Mozart existe plus par sa beauté vocale, son élévation, que par son orchestration, mais après deux siècles de légende, il reste encore la grande œuvre de musique capable de consolation. Écrit pour quatre voix, chœur, deux cors de basset, deux bassons, trois tambours, deux trompettes, des timbales cordes et orgue, l'œuvre suit le découpage traditionnel d'un Requiem : l-INTROIT / 2-- KYRIE / 3-SEQUENCE (DIES IRAE, TUBA MIRUM, REX TREMENDE, RECORDARE, CONFUTATIS, LACRYMOSA) / 4-0FFERT0RIUM (DOMINE JESUS-HOSTIAS) / 5-SANCTUS / 6-BENEDICTUS / 7-AGNUS DEI / 8-COMMUNIO (LUX AETERNA)

En définitive, le Requiem est une somme du savoir-faire musical de Mozart dans le domaine de la musique religieuse. Il mélange des idées traditionnelles mais aussi des idées nouvelles.

Devenue une "œuvre ouverte" au travers de tous les «trous» laissés par Mozart dans son manuscrit, au travers de l'instrumentation à peine ébauchée après le Kyrie, les parties de chant, les chœurs, la basse d'accompagnement, l'indication et la ligne des instruments solistes forment néanmoins une musique fidèle aux intentions du compositeur.

Le travail des disciples de Mozart a surtout consisté à faire du Mozart, soit en reprenant des œuvres de jeunesse du maître pour les parties manquantes (Sanctus, Benedictus, Agnus Dei), soit en reprenant pour la fin du Requiem le début à capo de l'œuvre. Bien sûr, les parties incomplètes comme le Lacrymosa ou l'Offertoire ont été complétées et ne sont pas de la main du compositeur.
Il en résulte peut-être pour les mozartistes beaucoup de frustration du fait d'un vide de l'orchestration malgré l'usage de la palette instrumentale de Mozart, il manque une transparence triste et tendre que l'on retrouve par exemple dans le concerto pour clarinette composé quasiment en même temps. 
Pourtant le Requiem n'édifie pas les foules et ne met pas en scène sa propre mort. Il ouvre une fenêtre d'où une lumière de consolation peut parvenir. Seul le Lacrymosa et le Recordare poussent vraiment vers le compositeur et Mozart parle peu de lui dans cette musique si expressive pourtant. Brigitte Massin, qui analysa l'oeuvre souligna que Mozart était plus obsédé qu'absorbé par cette commande dont le rituel strict n'était plus en phase avec ses idéaux d'amitié et de franc-maçon. 

Des échos sonores se répondent entre les rites d'initiation de la Flûte et l'approche musicale de la "meilleure amie de l'homme", la mort. Ainsi le Dies Irae est plus proche des sortilèges de la Reine de la nuit que du jour de colère de Dieu. L'influence récente de Haendel et de Bach est déterminante. On peut citer comme éléments caractéristiques certains passages : ainsi, le début du Requiem exprime la profession de foi du compositeur avec cette douce résignation, ce sourire un peu triste propre à sa vision de la Mort. Aux portes de l'inaudible, la musique s'installe avec des sonorités étranges et graves utilisant les cordes divisées, les cors de basset et les bassons. Le Chœur apparaît sur une plainte douloureuse mais ferme, et il appartiendra à une soprano solo d'évoquer la louange de Dieu. 
Le Kyrie, grand monument fugué, représente le versant austère et péremptoire dévolu au chœur.
Le Dies Irae est certes, dramatique, mais surtout pas théâtral, et le jour de colère est plus celui de la peur physique devant l'anéantissement que de l'effroi devant la colère divine. Le chœur soutenu par les mandements de l'orchestre raconte non pas un livre d'images mais une aventure individuelle.
Le Tuba Mirum reprend la tradition salzbourgeoise en confiant à un trombone ténor solo, la voix de l'au-delà, auquel se confronte celle terrestre de la basse soliste, puis du ténor moins véhément et plus concerné. 
Le Rex tremendae insistant annonce le juge clamé trois fois par le chœur à pleine voix, plein de bruit et de fureur.
Les techniques contrapuntiques des grands maîtres du passé sont ici utilisées. 
Le Recordare est un moment d'absolu, humble, suppliant, inquiet et miséricordieux à la fois, ce morceau déroule de longues phrases instrumentales. Dernière musique vraiment achevée par Mozart, cet hymne à la pitié universelle est peut-être la plus belle musique de Mozart. La vision dramatique du Confutatis mélange les flammes et la consolation.
Le Lacrymosa, de la main partielle de Mozart, reste comme une berceuse de la mort, très proche de Bach et le retour du mystère du début du Requiem est bouclé.
Il n'est pas sans intérêt de se rappeler que Mozart mourut en tentant d'achever ce moment ineffable.

Sanctus, Benedictus, Agnus Dei sont vraisemblablement bâtis sur des esquisses d'œuvre de Mozart de jeunesse. Mais l'âme de Mozart était déjà partie.

Ainsi achevée, cette œuvre est étonnante par sa synthèse de tout le savoir-faire de Mozart, de tout son héritage des grands maîtres, mais aussi par sa prémonition des sonorités à venir, et surtout par l'histoire individuelle et universelle que décrit cette Messe des Morts.

Tto, grand fan du requiem

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