Qui veut gagner 800 millions ?
Ruisselant d'un narcissisme qui donnerait presque envie de le plaindre tellement cela pointe sa détresse et ses complexes, Nicolas Sarkozy a annoncé, avec retard, au parrain de son fils Martin Bouygues, à son " frère " Lagardère, à son ami de trente et néanmoins affréteur Bolloré et aux autres stock-optionnés de l'industrie médiatique qu'il ne les avait pas oubliés pour Noël. Et comme Nicolas ne s'était pas oublié à propos de ses propres émoluments, il a fait les choses en grand pour les précités … là aussi : un cadeau de 800 millions d'euros.
La fin de la publicité sur le service public. Voilà donc la grande affaire de cette conférence de presse là où tous les journalistes l'attendaient sur le pouvoir d'achat. Il s'en fout le Président … il préfère soigner les intérêts de Martin, Arnaud, Vincent plutôt que ceux du smicard qui, en votant pour lui, avait eu l'audace bien naïve de croire que Sarkozy trouverait une solution à son problème de fin de mois qui se rapproche de plus en plus du 1er du mois. Au lieu de cela, celui qui fut ministre de la Communication en son temps joue le grand architecte fou, le Louis II de Bavière inconscient, l'apprenti sorcier dément … il s'amuse, avec une vertigineuse inconséquence et une ignorance crasse de la question, à faire exploser le paysage audiovisuel français.
Ce n'est finalement pas si grave diront certains … c'est bien là un problème marginal ? Certes, ce n'est pas cela qui mettra plus de beurre dans ton assiette de pâtes … mais c'est peut-être cela qui déterminera ce que tu regarderas à la télévision, dans un proche avenir.
La question ne me touche pas seulement parce que j'ai bossé à France Télévisions et que j'aime encore la culture de cette entreprise. La question me concerne, comme toi, parce que c'est d'un vecteur culturel écrasant de poids dont on parle et que Nicolas Sarkozy a choisi de fossoyer en autorisant ses rapaces mais néanmoins si proches amis à venir fondre sur les ruines d'un service public (et ses 800 millions d'euros de publicité) qui avait su, depuis plus de 20 ans, résister aux rouleaux compresseurs de la télévision commerciale mercantile et décérébrée.
Si, en 1986, Chirac s'était foutu du monde en bradant TF1 au père bétonnant de Martin Bouygues en ripolinant la grossière opération d'un pathétique et factice critère dit du " mieux-disant culturel " dont on voit aujourd'hui encore de quelle tarte à la crème il s'agit (regarde Cauet, l'Ile de la Tentation et autres Confessions intimes) … Sarkozy va encore plus loin en faisant en sorte d'offrir, bientôt, France 2 (qui sera forcément privatisée) à Arnaud Lagardère et en confinant ce qui reste de service public (France 3, France 5 et France Ô) aux programmes élitistes catégoriels sous financés. Parce que voilà … supprimer la pub aura la vertu de décoreller le service public d'enjeux commerciaux et de rendre donc une liberté éditoriale en phase avec les objectifs du cahier des charges desdites chaînes … mais c'est faire fi (avec les moyens financiers de compensations que Sarkozy peine lui-même à imaginer) des autres missions de la télé publique qui restent informer (et pour cela, il faut des sous) et distraire (et pour cela, il faut faire du populaire). Dès lors … dans cinq ans, France Télévisions n'aura plus les moyens de se battre pour conserver une exclusivité sportive, pour acheter un programme fédérateur à un producteur, ni même les moyens de proposer à ses téléspectateurs du théâtre en direct le samedi soir (comme samedi dernier) … rigueur budgétaire oblige. Anéantir la concurrence que le secteur public maintenait, difficilement, face à TF1 (qui serait à vendre) … c'est faire le choix illuminé et irresponsable de casser un équilibre, de permettre qu'une voix différente de celle des grands argentiers du PAF puisse se faire entendre, de briser un savoir-faire ayant permis de bâtir une télé publique de qualité (on prend souvent en modèle la BBC dont on n'oublie opportunément de rappeler qu'elle propose sur ses antennes autant de télé-réalité que TF1). C'est aussi annoncer bientôt une sévère augmentation de la redevance …
Décidément, la droite n'aura jamais rien fait de bon pour l'audiovisuel … mais Sarkozy pulvérise toutes les limites de la partisanerie et de la boursouflure égotique l'autorisant, croit-il, à détruire stérilement puisqu'il faut faire de la rupture. C'est le choix du monarque (aveuglé par les conseils, ou ce qui en tient lieu, de son intrigant affidé Georges-Marc Benamou, pseudo conseiller élyséen culturel) qui n'aura pas jugé nécessaire de soumettre au débat une décision si déterminante … lui qui se dit si attaché à la démocratie et à la transparence (sauf pour ses hospitalisations et son patrimoine). Enfin voila, remettre les clés des écrans de télévisions à ceux qui vendent du temps de cerveau disponible à Coca-Cola, c'est peut-être cela la nouvelle politique de civilisation … si admirable.
Tto, abattu