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une vie de tto
20 décembre 2012

Assieds-toi sur ma bite et causons

20 DEC

Bibliothèque rose

C'est jeudi et pourtant, cela ne me dissuade pas de faire dans le cul ... turel !!! Parce que le titre de ce billet est éminement culturel [oui je sais, comme ça, on ne s'en rend pas bien compte].

C'est du Jean Genet figure-toi lecteur ... Je me souviens avoir entendu cette phrase la dernière fois dans la bouche de ... Fabrice Lucchini dans son spectacle "Le point sur Robert" et j'avoue qu'il a pris un malin plaisir à répêter cette phrase jusqu'à la rendre insignifiante, ce qu'elle n'est évidemment pas. Pourtant, parler de sexe n'a jamais été chose facile et c'est même d'autant plus certain que je voulais aujourd'hui revenir sur ce qui s'est passé il y a une dizaine de jours : un prix litteraire ! Tu t'ennuies déjà ? Erreur funeste que la tienne ... il s'agit d'un prix litterraire en rapport avec ... ??? Le sexe !

Bah oui, y a bien le Goncourt, le Goncourt des lycéens [comme s'ils avaient un avis sur autre chose que leurs parents qui sont trop nuls], le prix Femina [comme si les bonnes femmes savaient lire ... hi hi hi] ou que sais-je encore ... pourquoi n'y aurait-il pas un prix au sujet des livres et du sexe ? Bah voila ... nous sommes bien d'accord à ceci près qu'il me faut t'expliquer, avant, de quoi il retourne [sans prendre le temps de mettre un peu de gel, ça va rntrer tout seul, ne t'inquiète pas et pense à autre chose]. Le "Bas Sex in Fiction Awards" est est un prix littéraire britannique décerné annuellement à l'auteur qui aura produit dans l'année la pire description d'un acte sexuel dans un roman. Le prix a été fondé par Rhoda Koenig, un critique littéraire, et Auberon Waugh, qui écrivait, à l'époque, dans la Literary Review. Donc c'est très anglosaxons cette histoire ... L'objectif avoué est d'« attirer l'attention sur l'usage grossier, insipide et souvent routinier de passages redondants de description sexuelle dans le roman moderne, et de le décourager ».

Alors forcément, moi, un truc pareil, ça éveille ma curiosité et je me plonge à fond les ballons dans le sujet et je constate que Rue89 a fait un papier là dessus !!! Mais avant d'aller voir qui est le gagnant sur Rue89/69, je te propose de faire comme si tu pouvais voter et après, je te donne le lauréat. Alors cette année, il y avait quoi ?

- "Clic-clac-clic Will Notre Bite est Epuisée hurlant aimant Will est ravi Will est sauvé je l’ai fait j’ai fait je suis l’Elu je suis son Elu oh Will pour toujours je suis tien pour toujours je suis tien pour toujours je suis." ... Sam Mills, The Quiddity of Will self

- "Et il a joui. Tel un trampoline hurlant. Sa giclée a dépassé la longueur de son bras. Huit gouttes décroissantes. La première trop haute pour qu’elle puisse la lécher. Juste sur l’épaule." ... Craig Raine, The Divine Comedy

- "En quelques secondes, le Duc avait baissé son pantalon et son caleçon, et s’était placé en face d’une malle en cuir, arborant les armoiries royales du château de Hohenzollern. “Pas de quartier”, ordonna-t-il. “Mettez-la de toutes vos forces”. Cath fit ce qu’il lui avait été ordonné, chuintant durement la brindille dans le derrière royal." ... Nicholas Coleridge, The Adventures : The Irresistible Rise of Miss Cath Fox

- "Il passa à des langages des anciennes steppes alors qu’il éjaculait, sanglotant et incohérent. Chun-li simula un orgasme, gardant son esprit concentré sur la tristesse des paroles du VIIIe siècle, et son visage restait tel un lac en hiver. Khünbish s’effondra sous le cou du cheval, où il s’accrochait désormais, comme un triste cavalier de cirque, alors que la cacophonie de la steppe enchaînait doucement dans une sorte de musique ruisseau-filant-plus-chant-d’oiseau qu’ils jouent dans les hôpitaux psychiatriques pour calmer les choses." ... Paul Mason, Rare Earth

- "Il connaît son corps maintenant, même fermement gainé et glissant qu’il était ; une prune mûre, rouge, sa chair jaune pressant contre le doux arc de sa peau fraîche, parfumée. Il comprenait les fondations basiques, avait visité les vergers comme un fringillidé affamé, s’était gorgé de fruit et rejetait les pépins, avait exploré la géographie." ... Nicola Baker, The Yips

- "Nous nous sommes levés de la chaise et elle m’a conduit à sa grotte féerique, parmi les oreillers et les draps frais. Chacun a fouillé le corps de l’autre pour chaque centimètre de l’histoire. J’ai fouillé ce que j’avais toujours imaginé et j’ai trouvé encore plus." ... Ben Masters, Noughties

- "Puis les bouts de ses seins se dressèrent tout seuls, et la crue de ses reins lava les morales, le désespoir, et tous ces autres jugements abstraits, dans un nuage de divine Cologne qu’est la sienne. Et voilà que d’un coup de bassin qui rappelait celui du jockey sur sa selle, il lui enfonça son gros membre reproducteur entre les jambes, et il se mit à la chevaucher, à la chevaucher plus vite, plus fort et elle l’avalait, l’avalait, l’avalait avec ses propres lèvres de la selle – le tout sans un mot." ...  Tom Wolfe, Back to Blood

- "C’est là que je prends ma photo. De l’intérieur de l’amant. Le Canon fait partie de mon corps. C’est moi, la pellicule ultrasensible. Capturant l’invisible, capturant la chaleur. [...] Je ne me fatiguerai jamais de cette fluidité argentée, mon sexe baignant dans la joie comme un poisson dans l’eau. [...] Ils avaient fait l’amour ce matin avant la sonnerie du réveil et elle avait voulu qu’il vienne sur son visage, c’était si fort le moment où, tenant son sexe dans ses deux mains, elle sentait soudain la semence traverser puis jaillir, crème de jouvence tiède et merveilleuse, elle l’avait étalée sur sa figure, son cou, ses seins, l’avait sentie sécher et se rafraîchir ; en se lavant ce matin elle avait tenu à garder, fine et transparente sous la mâchoire, à la naissance du cou, un peu de cette trace invisible de son amant : masque léger pour la protéger, l’aider à affronter l’épreuve..." Nancy Houston, Infrarouge

Voici donc les huit candidats au titre et c'est la dernière qui a remporté la palme ...

Et là tu te dis, ok mais pourquoi il nous dit ça ? Ah mais c'est que tu oublies que je suis un adepte frénétique des bibliothèques roses ! Et que je me dis qu'on va tester entre nous quelque chose dont j'ai eu l'idée il y a très très longtemps jadis. En effet, les anglosaxons et le sexe en litterrature, c'est une chose mais la France Monsieur, c'est autre chose. Et c'est là que cette digression intervient dans toute sa splendide magnificence : pourquoi ne pas me frotter, outre à ce genre là, mais aussi à l'exercice de sortir de certaines lectures des passages chauds et même plus que ça. En la matière, je crois me souvenir avoir lu des choses assez costaudes dans plusieurs livres [et Dieu sait qu'il faut y aller de bon coeur pour que je dise ça]. Ainsi donc, je t'annonce que nous allons, en 2013, tester la Bibliothèque Rose ... J'aime l'idée de permettre une certaine excitation autrement qu'avec des bambous magiques photographiques, mais avec la langue ... celle des mots sous des plumes assez irréprochablement talentueuses.

Et comme c'est Noël tout bientôt, je me dis qu'il ne serait pas inutile que je te livre, ici, le chapitre censuré [publié par le Nouvel Obs ici] de "la Confusion des genres" de Daniel Bougnoux, essai évoquant Louis Aragon [Castille dans ce livre]. Le chapitre s'intitule "Pour ne pas oublier Castille" racontant la rencontre de Bougnoux avec Aragon ...

Dans les beaux quartiers de Paris, l’automne pluvieux disperse l’or des parcs et presse aux épaules les passants. A l’étage d’un hôtel particulier aux pavés usés sous les roues des carrosses, on ferme les volets d’un appartement composé comme un double cœur, volière de vers et de chansons, galion gorgé d’éditions rares et d’objets curieux, aquarelles d’un siècle englouti. Appelons le maître des lieux Castille. Le flot des visiteurs a cessé depuis qu’au fond de cette grotte le magicien agonise. Ni les cartes postales reçues du bout du monde qu’il mêlait à des lambeaux d’affiches ou de journaux pour les arranger en fresque, ni l’amitié des peintres qui décorent diversement ses murs, ni l’hommage officiel des princes ou les chuchotements de ceux qui viennent encore aux nouvelles ne retiendront Castille de partir. Le vieux roi qui voudrait tant mourir, et n’y arrive pas.

Scellée depuis douze années, la porte de l’autre chambre n’ouvre plus sur «l’avenir de l’homme». Nul ne pénètre dans le sanctuaire où il a dressé Ses portraits, Ses romans, Ses toilettes – à Elle. Il a fait de ce reposoir un mythe, et du reste de l’appartement sa tanière. A force de manipuler l’amour, il en semblait irradié. Son bel canto avait vicié Castille; mimait-il éperdument, ou éprouvait-il sincèrement les passions? Les avis restaient partagés. Peut-être le grand poète avait-il besoin de dire pour ressentir, et de la rencontre d’un stylo avec d’une feuille de papier pour atteindre l’heure de la sensation vraie? Beau comme la rencontre…, y avait-il assez rêvé? Les daltoniens se confient au jugement des autres pour séparer le rouge du vert, Castille semblait à certaines heures affligé d’un daltonisme des passions; distinguant mal l’amour de la haine ou la joie de la douleur, il lui fallait s’en remettre assez souvent à sa femme, ou à son Parti, ou au témoignage de ses propres écrits. Chanter pour se donner courage ou contenance, vocaliser l’amour pour l’inoculer à l’autre et à soi-même, c’était peut-être la clé de son bizarre réalisme.

Depuis 1971, Castille prenait ses vacances d’été à Toulon entouré d’une cour de jeunes gens auxquels il distribuait chatteries, caresses et coups de griffe comme un pianiste réhausse son jeu à coups d’apoggiatures et d’effets de pédale. Je m’y trouvais mêlé en juillet 1973, habitant moi-même cette ville depuis mon affectation de professeur de philosophie au lycée Bonaparte; j’avais, pour la collection Poche-critique créée par Georges Raillard, écrit un petit ouvrage sur Blanche ou l’oubli qui avait plu à son auteur, nous avions échangé quelques messages, il m’avait reçu rue de Varenne et, puisque j’étais toulonnais, invité à passer le voir au cap Brun quand lui-même y serait.

Je me retrouvais donc sur la corniche de la résidence-hôtel, pour un déjeuner pris en terrasse à l’ombre entêtante des pins; au loin sur la grande nappe bleue, les voiliers faisaient un semis de petites mites, tandis que dans la minuscule piscine en contrebas quelques jeunes gens juraient et s’ébrouaient avec de grands splashes. J’imaginais avant de venir Castille entouré d’artistes, de fins causeurs ou de critiques experts, mais je tombais autour de la table sur ces «charlatans de Gallipoli (…) des gens, des gens, des gens encore (…) des paltoquets et des pécores» évoqués dans Le Roman inachevé; je revois deux hurluberlus fraîchement débarqués du festival d’Avignon, soudain séduits par le décor et décidés à y prendre racine, auquel notre hôte débitait des anecdotes qu’ils écoutaient en feignant l’intérêt. La conversation languissait, aussi fus-je soulagé quand Castille me lança gaiement au café, qu’il buvait en y ajoutant une quantité effroyable de sucre: – Eh bien jeune homme, je suis content de vous! Vous plairait-il d’entendre la suite? Attendez-vous à pire…, et il m’avait entraîné sans façon dans sa chambre, en escaladant l’escalier avec une vigueur surprenante.

Sur une table devant la fenêtre étaient disposées des liasses. Castille les soupesa avec la circonspection d’un haltérophile, puis d’un paquet tira prestement quelques feuilles qu’il commença à lire d’une voix emphatique, le dos tourné au jour. A cette époque, il laissait encore pousser ses longs cheveux blancs en crinière. Pourtant ce n’était pas le lion qu’évoquait le visage de Castille, malgré son profil arrondi de félin et la fente parfois cruelle des paupières filtrant un regard bleu. Son port de tête n’était pas assez noble ou tranquille, les expressions les plus contraires couraient sur ses traits avec la rapidité de l’araignée sur sa toile.

Cette déconcertante cinématographie de la face semblait prendre naissance à la base onduleuse du cou: tout en lisant Castille branlait du chef, et coulait de côté des regards en lame de faux. Sa voix légèrement nasale découpait les mots avec la précision d’une dague; non contente de dire elle semblait décortiquer et déguster chaque phrase, suspendue à d’invisibles guillemets, ou élevée jusqu’à la lumière comme un joaillier vante un bijou de prix qu’il détache pour le faire tourner aux yeux de l’acheteuse. Il était difficile d’échapper à son charme hypnotique, tant la haute silhouette dépassait la mesure ordinaire de l’homme ou de la femme et suggérait l’apparition mélodieuse de la Sphinge, ou de quelque serpent à sonnettes à la morsure sucrée.

Je m’efforçais de ne rien perdre de cette mise en scène, mais son étrangeté même nuisait à l’intelligence des paroles, dont le fil se rompait souvent. Les sautes de ton et les syncopes caractérisent le maniérisme lyrique du dernier Castille, qui me faisait profiter là de son dernier roman, en se plaisant à souligner et à dramatiser les accidents de sa prose, partout où ça disjonctait.  – Tu vois petit, ce bouquin me déborde, quel désordre bon Dieu quel désordre, jamais je ne m’y retrouverai…

Car soudain dans la chambre il m’avait tutoyé, tout en piochant parmi les feuillets qu’il battait comme un jeu de cartes – pour anticiper sur l’image que répéteront tous les commentateurs de Théâtre/roman. Puis, dans un grand geste théâtral le poète rejeta impatiemment le manuscrit et se dressa vivement. Le peignoir s’ouvrit sur le slip de bain. Castille nageait chaque jour en mer, assez souvent seul et droit vers le large, et je vis que le grand âge n’avait pas ruiné son corps bronzé, à la stature athlétique. Il me tourna le dos et disparut sans un mot dans la salle de bains.

Plusieurs minutes s’écoulèrent, avec des bruits d’eau. Une bouffée de parfum envahit la pièce, d’un musc lourd dominé par la rose. Quand Castille regagna son siège pour reprendre sans autre explication le fil de sa lecture, j’eus du mal à contenir ma stupéfaction: le Vieux s’était fardé et fait les yeux en y collant, par un détail de coquetterie inconcevable, des faux-cils dégoulinant de rimmel. Il avait abandonné le peignoir et troqué son slip pour un cache-sexe rouge vif. J’avais à présent devant moi une drag queen qui se mit à rythmer de plus belle les propos d’Eurianthe ou de quelque Lélio, tout en se caressant la poitrine et la toison ventrale. Le parfum, un gel plutôt, n’avait pas été appliqué au hasard et il était facile, à la courte distance où j’étais, de deviner de quel orifice copieusement enduit émanait l’entêtante invite. Dans mon dos, le grand lit blanc à la courte-pointe impeccablement tirée se chargea soudain d’une présence redoutable ; en quelques minutes, la confusion des genres avait changé de caractère.

Que faire? Je jugeai prudent de ne rien laisser paraître, me levai dès la fin de la lecture, remerciai et cherchai l’air au dehors, en tirant la porte sur les vociférations du baroque opéra dont, par une chaude après-midi de juillet, Castille m’avait fait l’unique spectateur. Ses lèvres aux accents rugissants et suaves avaient déployé pour moi l’éventail du désir amoureux sans lésiner sur l’orchestre, ponctuant par les clochettes de la douleur le largo langoureux des stances, tressant ses trilles au frémissement des cordes, ça me remettait quatre vers en mémoire, «Dites flûte ou violoncelle / Le double amour qui brûla / L’alouette et l’hirondelle / La rose et le réséda», amour double en effet puisque par derrière… Comment jamais te dire Je t’aime? modulait de mille façons le poème, tandis que le colimaçon parfumé de la rose implorait Défonce-moi! Ou, dit avec plus d’emphase dans Le Paysan de Paris: «Bats-moi, effondre-moi (…). Saccage enfin, beau monstre, une venaison de clartés».

L’abîme ouvert par Castille ne me détourna pas de le revoir, et je me mis à fréquenter davantage ses livres. «Sexuellement je l’avais percé à jour et il ne me le pardonnait pas», écrivit Drieu la Rochelle de son ancien ami; pour moi au contraire, le mélodieux frelon me parut plus proche, et presque fraternel, du jour où il me révéla sa fêlure. En ce temps-là, le veuvage de Castille était récent, et le plus exposé des secrets mondains n’était pas encore devenu le Polichinelle de Paris; la fable pourtant s’en répandait, et le poète ne fit rien pour la démentir; il s’affichait au contraire en diverses mondanités avec son secrétaire ou d’autres garçons de moindre calibre, semant chez les vieux grognards d’un réalisme qu’ils appelaient toujours socialiste l’embarras de ne plus savoir, devant le nouveau couple, sur quel pied danser.

Je croisais le secrétaire – appelons-le Raoul – qui fumait nerveusement au pied de l’escalier; il faisait le guet je crois bien, mais pas comme Leporello veillant sur les amours de son maître. Son regard m’instruisit mieux que les chamailleries du caravansérail sur les supputations et les jalousies qui peuplaient le petit monde de Castille. Le jeune homme composait sur son protecteur des vies parallèles aux détails suggestifs qui tiraient de Castille, dont le regard fatigué ne savait plus reconnaître la peinture, des cris d’extase. «Hourra Raoul !» avait titré quelques années plus tôt sur deux pages Les Lettres françaises. Ensemble ils promenèrent ce livre, dont ils firent des lectures publiques à deux voix pour inaugurer ici un Centre culturel, là une bibliothèque Elsa Triolet.

Plus tard il y aurait l’exhibition télévisée et les bredouillements sous le masque. Une suite funèbre de paroles à côté et de bouffonneries jusqu’à la décomposition finale. Castille toujours sublime et pathétique faisait le sourd quand on le suppliait d’intervenir fût-ce d’un mot dans les affaires du Parti ou de l’U.R.S.S., mais sur son œuvre et dans ses amours il se parodiait désormais lui-même, comme pour remettre sa fameuse fidélité à l’échelle de la grimace discordante et du «ratage carnavalesque du temps». Face à ses détracteurs et ennemis qui étaient légion, il avait toujours eu la passion d’en rajouter, façon de prendre les devants disait-il, ou pour le bizarre plaisir d’armer l’adversaire.

Je rencontrais Castille une dernière fois, dans une librairie de Grenoble où il venait lire quelques poèmes, dont le très touchant «Voyage d’Italie» où passe la voix blessée de Marceline Desbordes-Valmore. Les demandeurs d’autographes s’écrasaient sur son passage et je revois Raoul, costumé en cocher, empilant dans un grand sac les livres que Castille dédicacerait plus tard. Je m’avançais vers lui pour lui redire mon attachement, avec à la main un exemplaire d’Irène dans l’édition de Régine Deforges où je le priais de me mettre un mot. – Pourquoi voulez-vous, mon petit, que je vous dédicace un livre qui m’est étranger puisque j’ai toujours refusé d’en endosser la paternité – ou devrais-je dire la maternité? Et en effet, Castille résista jusqu’au bout, pour des raisons que je m’explique mal, à reconnaître l’un de ses plus beaux cris. Après cela, peut-être découragé, je ne le revis jamais plus.

Il fallait un certain héroïsme pour lamper ainsi à petites gorgées la cigüe lente du suicide. On avait bien ri quand, profitant d’un discours officiel où il remettait ses manuscrits à la nation française, il avait solennellement institué Raoul son «prolongateur». Un cordon électrique! Un échotier s’en empara et un bon mot courut Paris, «la prise de la Castille», ah ah! Prolongateur, Raoul? Un rouage tout au plus de cette machine à se moudre soi-même, un Sganarelle de rencontre à la table du séducteur, à l’heure où les Commandeurs de marbre se bousculent aux portes. Dans ce théâtre de marionnettes où Raoul était le dernier du casting, Castille avait toujours occupé tous les emplois, à la fois l’idolâtre et l’idole, la cantatrice et son amant, persécuté-persécuteur… Castille à la voix de cristal maintenant sous les tubes, aux mains des hommes en blanc. Et autour de la bibliothèque, des tableaux et des manuscrits, le vol pesant des charognards.

«Je fais ce que je peux», aurait-il dit entre deux comas. Si telles furent ses dernières paroles, il est curieux de mettre son œuvre et sa vie en regard. Pour fermer le bec aux nécrologues qui ont déjà remis leur copie sur le thème de la Castafiore. Car la mort de Castille suscita, venant de la gauche, une surenchère d’attaques furieuses, alors qu’il fut salué à droite avec respect et admiration sous la plume de François Nourissier ou de Jean d’Ormesson. Le sphinx ne dira plus rien, il emporte avec lui le mot de son énigme, mais il aura tant parlé, écrit, chanté… Castille enduisait d’un baume de douceur ses déchirures, il épongeait d’une gaze parfumée une plaie inguérissable, comme il aimait à la fin, parmi les jeunes gens, se travestir de rubans et de falbalas. L’irréparable avait eu lieu une fois pour toutes, à la naissance, il avait eu trop mal à sa parentèle, trop tôt désespéré des êtres les plus proches. De sorte que quand les choses commencèrent à vraiment mal tourner aux environs de 36, du côté de l’U.R.S.S. et de sa grande famille communiste, ça dut rappeler quelque chose à l’enfant truqué qu’il avait été, et peut-être le confirmer, le rassurer dans ses choix.

Il n’y a pas d’amour heureux, pas de famille sans mensonges, pas de couple dans discorde ni d’idéal sans trahison? On n’aura rien dit de Castille tant qu’on n’aura pas admis à quel point il vivait dans une dépendance amoureuse sciemment entretenue, dopée, revendiquée… A quel point l’amour cela vous dupe, cela vous abîme! Nane ou Nancy, évoquant leur trente mois de passion commune, a confié à sa biographe qu’elle le trouvait trop demanding. Sur quelques photos, on lit dans son regard cette demande qui dépasse les mots, l’attente d’une chose immense et qui n’arrive jamais.

Il est temps que le Vieux maintenant disparaisse, il n’a que trop tardé. Le dernier d’une époque qui ne se retrouvera plus, il part sous les moqueries et sa couronne roule au caniveau. Le monde a tourné sur ses talons de verre, et la musique a changé. Au moins a-t-il pénétré la mémoire populaire où sa vie se prolonge pas ses chansons, ses poèmes. Tout le monde connaît quelques chansons tirées de Castille, et qui les écoute sans trembler? J’en parlais un jour avec un ancien camarade de l’UJC-ML, qui me plaisantait sur mon goût: – Quoi, Castille, ce faux derche? – Peut-être mais… tu as pris le temps d’écouter ses chansons? – Ah les chansons, elles me font chialer!

 

Tto, éroto-man des écrits aussi

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Commentaires
N
Le Post le plus long de ton histoire de blogueur?<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Au fait, avec une accroche comme cella là... on cause quand tu veux!
Répondre
C
Tout cela réveille les sens de bon matin :) Comment se concentrer maintenant sur son boulot :)
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