C'est bien simple, cette année là, c'était la grosse déconne en cours. J'avais 16 ans, l'insouciance de cet âge conjuguée au fait que si, on n'est pas sérieux à 17 ans ... je ne vous raconte pas ce que c'est à 16 ans ... Entourré de mon harem [oui, déjà à l'époque ... j'avais plein de filles autour de moi ... le succès et le charme ... c'est comme ça, mais c'est pas facile tous les jours], on faisait des conneries par centaines hebdomadaires. Plutôt que de préparer les interros, s'avancer à faire ses devoirs, corriger ses exercices studieusement ... ben nous on jouait au tarot à côté des labos de langue. Combien de fois on s'est pris le petit et combien de gardes se sont soldées par desdéfaites cuisantes ... ouh la la, je n'ose même pas vous le dire. On était vautrés sur la moquette et on abattait les cartes les unes sur les autres ... L'oisiveté est la mère de tous les vices, c'est certain !

Parmi mes comparses de jeu, H était celle avec laquelle aucune limite ne résistait ... plus elle allait loin, plus je devais enfoncer une nouvelle digue ... en sorte qu'avec nos deux caractères entiers et résolument inconcialiables, c'était l'escalade permanente. On vous dit qu'il faut rire au moins dix minutes par jour ... mais pendant mes trois années de lycée, c'est bien deux à trois heures par jour que nous avons rigolé aux larmes ...

Un jour, donc, nous étions en cours d'Histoire Géo et H avait à côté d'elle une fille que la nature n'avait pas aidé. Elle était grande, avait une voix de garçon prépubère, des lunettes que Nana Mouskouri n'aurait pas renié, une coiffure qu'on ne met même plus aux poupées de premier prix ... bref, c'était un canon mais au sens premier du terme, en fonte ! On était au fond de la classe, la prof parlait de la terrible charnière qu'était l'année 1917 dans le premier conflit mondial ... hum passionnant ... [De toute façon, et sans vanité, on arrivait à ne pas écouter les cours et à suivre quand même. On avait même des résultats qui dégoutaient celles et ceux qui trimaient sang et eau ... Mais, le monde est injuste tu sais ...]

D'un coup, H qui se morfondait au plus haut point notamment parce que sa voisine écoutait et notait tout [à la virgule près] se retourne vers moi qui dessinait et préparait mon jeu du moment [oui, j'ai toujours un jeu du moment ... à cette époque, on jouait à se détruire nos convictions avec des cas de conscience plus tordus les uns que les autres ! Donc, pendant les cours, j'en inventais ...].
- Tu fais quoi ?
- Mééééé, tricheuse, pas le droit de regarder ... oh, je viens de trouver un cas de conscience ... tu vas ramasser ton dentier cette fois !
- Qu'est ce qu'on s'emmerde ...
- Ben tu discutes pas avec ta voisine ?
- T'es con !
- Courage, plus qu'une heure et quart ...
- On fait un jeu ?
- Quoi ?
- Le jeu de la divination avec les cartes ... [Quelques mois avant, j'avais ramené un bouquin de cartomancie ... on avait tous des avenirs géniaux et dix minutes plus tard, c'était à se demander pourquoi on n'était pas déjà morts ... Donc, les jeux de cartes sur l'avenir, bof bof]
- Mouais ...
- Mais si, tu prépares 26 questions auxquelles on peut répondre par oui ou non et pour chaque question, on tire une carte. Si la carte est rouge, la réponse à ta question est OUI. Si elle est noire, c'est NON.
- Han han ...
- Arrête, c'est génial !!!
- Ok, si tu veux ...

Comme on commençait à clairement ne plus faire semblant de suivre le cours ... la voisine de H nous prévint que la prof commençait à nous regarder ... Donc, dans ce cas là, il fallait poser rapido une question juste histoire de rassurer la prof d'Histoire [qui avait un fils que je croisais tous les mercredis soirs en allant prendre mon cours de piano ... on avait le même prof ... donc je croisais aussi sa maman, ce qui permettait de me faire bien voir ... le sourire de circonstance, ça rattrape toujours quelques points. Ben oui, faut savoir se servir de tout dans la vie, et puis là, y a prescrption et c'est pas bien grave !]. Une fois ma brillante intervention courronnée du regard approbateur de la prof, je me mis à ma liste de questions ... et on commence à jouer. Evidemment, j'allais me marrier l'année qui suivait, avoir 3 enfants avant 20 ans, être forcément très riche, etc ... Nous voyant jouer, la voisine de H nous demande ce à quoi nous nous amusons ... Compte tenu de sa discrétion qui ferait passer le OSS117 de Jean Dujardin pour une fine lame du contre-espionnage, H lui expliqua rapido costo mais trop bien au point qu'elle voulut à son tour savoir ce que l'avenir lui réservait ! Le seul problème, c'est qu'elle n'était vraiment pas discrète, elle était toute rouge [même moi, derrière, je l'aurai vue comme le nez au milieu de la figure !!!] et elle commence à poser ses questions. De façon totalement inattendue, elle nous parle de son amitié pour H et moi [normalement, on était inséparables ... mouais ..], de ce garçon qui ne veut pas qu'elle s'approche de lui, de ses parents, son chien et arrive l'vant dernière question ...
[H] - Ben vas-y pose là ta question, sinon on ne saura pas à quoi correspond la carte ...
[moi] - N'aies pas peur ... tu sais, nous aussi on a posé des questions ... et puis tu sais, le jeu est pas valable si tu poses pas tes 26 questions [je sais pas pourquoi j'ai inventé cette règle, mais je m'étais dit que c'était une bonne façon de la forcer ...]
[elle] - Ben oui, mais c'est délicat ...
[H] - Comme tu veux, mais tto a raison ... c'est bête d'avoir fait tout ça et de s'arrêter là ...
[elle] - Bon d'accord ... Ma question 25, c'est de savoir ...
Euh, là, j'interromps un peu juste histoire de vous dire que ce jour là, j'ai compris qu'on ne pouvait pas tout faire avec tout le monde, parce que tout est relatif. C'est bon, vous êtes prêt(e)s ? Allez, on y retourne ...
[elle] - ... en fait, je veux savoir si je vais refaire une tentative de suicide ?
Torpeur absolue, je ne respire plus. H reste scotchée. Elle me regarde, tout désemparée par le fait qu'elle a entre ses mains une carte qui est censée donner une réponse à cette question totalement imprévue ... elle lui demande de répêter, sa voisine s'exécute avec applomb et sans complexes cette fois ... je deviens rouge comme une pivoine et mon regard croise à nouveau celui de H qui m'appelle au secours ... Oui, mais là, on a trop poussé et on ne peut plus reculer ... En plus la prof commence à circuler dans les travées de la classe ... C'est la merde !!!

La prof passe devant nous, studieux lycéen qui sommes forcément absorbés dans le bouquin ... et dès qu'elle a le dos tourné, la voisine de H revient à la charge au prix d'un "Alors" que le premier rang entend si bien que cela fait s'en retourner les deux blondasses faillottes que l'impatience de notre voisine vient de troubler ... Une fois le calme revenu, H n'ayant pas bougé, je l'enjoins alors à retourner la carte. Il sera toujours temps de relativiser selon la réponse ...

La carte se retourne, elle est noire. La réponse est donc négative. Un grand Oufff de soulagement s'empare de nous ... le tout étant terriblement contenu. La voisine de H insiste alors pour poser sa vingt-sixième question ... et là, de concert, tous les deux, alors que nous sommes totalement épouvantés par l'idée de ce que peut être la dernière question, nous lui répondons :
Euh non, tu sais, on va arrêter, la prof te regarde ... on finira un autre jour !!

Evidemment, on a jamais su ce qu'était cette ultime question, ni même si la prédiction était exacte ...

Voila, c'est comme ça que ça s'est passé  ...

Tto, Elizabeth Tessier du grand n'importe quoi !