La première fois que ... j'ai été prof (2/2)
... et tels des moutons de Panurge (dont je parlais ici même), je vois débarquer un flot d'étudiants gauches, empourprés pour partie, vociférants ... une espèce de vague tsunamiesque qui s'engouffre dans cette petite salle dont je commence à me demander si elle parviendra à contenir l'ensemble de ceux qui entendent assister à mon cours. [D'ailleurs, je commence à me dire que l'administration de cette Fac de Cergy vaut bien celle d'où je viens tant elle me semble organisée au plus haut point : les listings sont dégeulasses, les supports pédagogiques n'ont pas encore été distribués que les reliures de certains ont déjà rendu l'âme, la salle a même pas été nettoyée (je parle pas du tableau ... d'ailleurs, j'ai pas de craie !!) ... bref, welcome !!!]
J'avise ma montre, je sors mes affaires, je prends bien soin de ne pas dire un mot, j'observe ma future audience ... rapidement, je tente de rassembler la structure de mon intervention : on m'a dit, prise de contact et définition des modes de travail ... ça ça va, je maîtrise à mort. L'angoisse commence à m'assêcher la gorge, mes joues chauffent un peu, mes mains glissent un peu plus qu'il y a 30 secondes.
Je me dis que, définitivement, les salles de cours sont toutes les mêmes et je me revois quelques années avant à leur place, entrain de tromper la méfiance vis à vis du prof en faisant semblant d'être à l'aise et en attendant de me faire ma première opinion [forcément la meilleure et celle qui sera définitive] sur le/la jeune con/ne que j'allais m'envoyer pendant un semestre. Oui, mais voila, là, j'ai vieilli ... et c'est moi qui suit celui que je regardais quatre ans plus tôt ... c'est moi dont on va parler dans les couloirs quand je piquerai une colère, c'est moi dont on dira que je suis forcément un frustré pour être aussi ignoble, c'est moi !
Comme à chaque fois, juste quelques secondes avant que tout ne se mette en marche, la question qui tue : Mais qu'est ce que je fous là ? Ah que je ne l'aime pas celle-là ... d'autant que je ne suis jamais en condition pour y répondre. C'est bien simple, je n'y ai jamais trouvé de réponse satisfaisante.
Ma montre affiche 8:00, il est donc temps d'y aller ... stoïquement [certains diront que j'avais un balai dans le c**], je me dirige vers la porte pour la fermer ... et là, comme d'habitude, deux branleurs comprennent qu'il est plus que temps pour eux de rentrer en cours. Un rictus éclaire un peu mon visage tuméfié par la fatigue, je ferme la porte et je me souviens rester dos aux étudiants en regardant la porte pendant deux secondes ... deux longues secondes pendant lesquelles je me suis demandé si j'aurai la force de me retourner.
Le théâtre, c'est un peu mon truc ... Le fait que je regarde la porte pendant ces deux secondes fait s'installer un silence de mort ... je me retourne et je rejoins mon bureau.
"Bonjour, bienvenue dans ce séminaire [oui, on ne parle pas de cours ni de travaux dirigés à Cergy mais de "séminaires" ... la propension de l'Université à pontifier m'impressionnera toujours], je suis votre professeur, je suis Mr tto."
[Je me lève et je vais inscrire mon nom au tableau.]
"Nous sommes ensemble pendant un semestre pour vous permettre d'approfondir la matière que vous suivez normalementr avec Maître de conférence en amphithéatre. Alors, ce que je vous propose ce matin, c'est que nous voyions ensemble la façon selon laquelle nous allons travailler et ce que j'attends de vous."
[Jusque là, tout va bien ... on continue ... allez les gars, allez les filles !!!]
"Que les choses soient assez claires entre nous, vous êtes grands, majeurs et vaccinés et je ne suis pas là pour faire du baby-sitting. Donc, je pars du principe que si vous assistez à ce cours, c'est que vous en ressentez l'intérêt. Donc, je tiens à vous dire d'emblée que ceux qui ne font rien, qui discutent, qui sont là pour perturber le travail de l'ensemble voire qui auraient trouvé le moyen de venir finir leur nuit ici ne sont pas les bienvenus et je les encourage à trouver un plan de rechange. En revanche, pour les autres, il y a quelques règles simples qu'il faut intégrer avec moi ... et dès lors qu'elles seront respectées, vous avez tout à gagner."
[J'étais content de m'en être sorti comme ça, parce que j'appréhendais un peu ce passage du style "Euh, c'est moi le patron ici coco" dont je savais qu'il pouvait être très mal ressenti par mon auditoire post-pubère. Mais là, les merdes commencent ... une main se lève ..]
- Excusez-moi Monsieur, vous faîtes pas l'appel ?
[Put*** !! Mais t'écoutes ce que je suis entrain de te dire plutôt que me rappeler ce que je dois faire ? C'est quoi ce chiard qui croit devoir m'expliquer comment je dois faire mon job ?? Oh toi, t'es mal, t'es très mal !!]
"Bien, votre question bien qu'un peu incongrue va me permettre de détailler les règles en question dont je parlais avant que vous ne m'interrompiez ... [ouais, je sais être limite désagréable mais toujours cordial ...] Alors l'appel ... je m'en fous un peu. Pour être honnête, ça m'amuse pas de perdre du temps à écorcher vos noms de famille [et puis là, je peux vous dire qu'ils m'avaient gatté ... ouh la vache ...]. Donc, à chaque fois, je ferai passer une feuille où vous inscrirez nom, prenom et vous signerez. Pendant le cours, je recompte le nombre et si vous avez essayé d'inscrire un absent ... je ferai alors l'appel et je verrai bien qui a tenté de filouter. D'une façon générale, dites-vous bien une chose : je vous déconseille d'essayer de me berner ... j'ai été étudiant avant vous, j'ai essayé plein de trucs donc je les connais les ficelles .... et vous n'inventerez rien de plus que ce que j'ai déjà fait moi-même ... donc, ne perdez pas votre temps ni votre énergie à me prendre pour un imbécile : ça aurait pour conséquence que je vous prenne un peu en grippe et je tiens à vous rappeler qu'au final, c'est moi qui ait le pouvoir !!" [ouais, je sais, c'est dégeu ... mais c'est la vie !]
J'ai continué mon laïus pendant une heure, alternant la fermeté et une pointe [un peu sadique] d'humour salvatrice et libératrice pour mon auditoire qui se demandait pourquoi il s'était inscrit dans un cours pareil ... Ca m'a fait rigoler, une fois la pression passée ... mais ça a eu au moins le mérite de faire en sorte que le semestre se passe convenablement ... bon à quelques exceptions près [on en reparlera, vous inquiétez pas].
Voila, c'est comme ça que cela s'est passé ...
Tto, potentat universitaire