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une vie de tto
7 mars 2006

Connivences et tartufferies

La France est vraiment un pays singulier. Elle se targue d’avoir été la terre maternelle de l’esprit des lois et des droits universels de l’homme (la femme viendra plus tard) et pourtant elle manie, non sans un abracadabrant équilibre désespéré, le paradoxe au point de tolérer que des journalistes qu’elle sacralise se comportent en faire-valoir ou hommes-sandwichs de potentats républicains à destinées plus ou moins variables.

L’affaire SARKOZY / ELKABBACH est une nouvelle séquelle de l’incestueuse relation qui unit depuis plus d’un demi-siècle le monde de la communication et le pouvoir politique.

Que n’a-t-on glosé sur les textes du 20 heures relus par Alain PEYREFFITE, Ministre de l’Information du Général De Gaulle ? Que n’a-t-on raillé les autorités administratives chargées de veiller au pluralisme des média alors que leurs membres sont nommés par les principales autorités de l’état ? Que n’a-t-on écrit sur les lessives accompagnant chaque changement de locataire du palais républicain de la rue Saint Honoré ?

Aujourd’hui, le Président du parti parlementaire majoritaire qui cumule également les fonctions de Ministre d’Etat chargé de l’Intérieur et qui s’est ouvertement déclaré candidat à la magistrature suprême du pays explique le plus naturellement du monde qu’il est presque normal que les directeurs de rédaction et responsables d’antenne l’interrogent sur les profils des journalistes qu’ils dépêcheraient pour suivre l’activité dudit personnage dans les semaines et mois à venir dont on sait qu’ils seront écrasants de sens et déterminants pour l’avenir. Alors, on retrouve cette vieille antienne de la connivence entre politiques et journalistes et l’on semble s’étonner, tomber des nues, découvrir le problème comme s’il s’agissait d’un continent nouveau.

La saugrenuité du débat réside aussi dans le fait que Nicolas SARKOZY n’est pas le seul à user d’un tel système. Qui pourra prétendre que les caciques du Parti Socialiste n’adoptent pas les mêmes autoroutes relationnelles pour trouver l’écho médiatique qu’ils espèrent ? Comment feindre l’étonnement à l’idée d’imaginer que les responsables des partis politiques institutionnels parlementaires ou non s’autorisent à manier ces gentils journalistes qui, par excès de révérences, mutent subitement en valets ?

La faute est-elle donc du côté des politiques qui abuseraient de leur pouvoir actuel et/ou futur pour tenir sous emprise d’ambitieux journalistes ? Le manichéisme confortable matiné de simplisme et de naïveté est bien trop éloigné de la réalité pour qu’il puisse satisfaire celui ou celle qui s’attachera à démêler les fils d’un tel imbroglio.

En effet, les journalistes comme les médecins ou les avocats ont notamment ceci de particulier qu’ils se doivent d’exercer leur art en considération de règles professionnelles garantissant le bon accomplissement de leur tâche. Ce " code " de bonne conduite, ce serment plus ou moins implicite selon le cas n’est pas autre chose que ce que l’on définit comme la déontologie. En matière de journalisme, la déontologie exige que le professionnel dont s’agit ne mette pas son talent au service d’un corrupteur ou sous l’emprise d’une autorité dont il aurait convenu qu’il faille rapporter tels ou tels actes pouvant ne pas lui convenir.

Mais comment concilier de si présentables règles déontologiques avec le fonctionnement actuel et français des chaînes de télévisions, des réseaux radiophoniques nationaux ou locaux, ou d’organes de presse ? Faut-il rappeler que l’Etat, et par conséquent le gouvernement, dispose du pouvoir de nommer le président de la télévision publique regardée encore par 2 téléspectateurs sur 5 tous les jours ? Faut-il souligner que les grands groupes privés de communications d’aujourd’hui ont tous un actionnaire majoritaire qui est en affaires avec l’Etat ? Faut-il être crédule pour ne pas penser que les responsables politiques en place n’useraient pas de leur pouvoir réglementaire sur l’industrie médiatique pour asseoir certains comportements ou parvenir à une lecture plus conciliante de ses actes ?

En l’espèce, il convient de rappeler que Jean-Pierre ELKABBACH est un journaliste reconnu de la profession à laquelle il appartient. Il a cumulé différents emplois au gré de sa carrière longue de plusieurs dizaines d’années sans lui faire offense en disant cela. Il fut présentateur de journaux radio, directeur de l’information d’Antenne 2, commentateur du couronnement de Jean-Bedel BOKASSA, présentateur du 8h/9h sur Europe 1 après la victoire de François MITTERRAND, Directeur des programmes d’Europe 1 en 1988, Super Président de France Télévision en 1993 poste qu’il quittera prématurément en 1995 après le scandale des animateurs producteurs, Président de la chaîne publique parlementaire PUBLIC SENAT et aujourd’hui Président d’Europe 1. Un tel parcours qui l’aura vu successivement être l’incarnation du giscardisme à la télévision, le confesseur de François MITTERRAND ou l’un des balladuriens les plus fervents est très emblématique du journalisme politique " à la française ". Il rejoint entre autres et avec des nuances Serge JULY, Christine OCKRENT, Claire CHAZAL, Robert NAMIAS, Etienne MOUGEOTTE, Albert DU ROY et naturellement Alain DUHAMEL.

De telles sommités de l’exercice côtoient depuis des dizaines et des dizaines d’années un personnel politique qui a la caractéristique de ne pas se renouveler en profondeur. Inévitablement, on retombe sur les mêmes et avec les fabuleuses archives de l’INA, on s’étonnera de voir qu’Alain DUHAMEL s’entretenait déjà avec Jacques CHIRAC en 1972 ! Certains dépositaires de mandats électoraux ont même été jusqu’à devenir les ministres de tutelle des journalistes chargés de les passer à la question (en tout bien tout honneur). Songez que nous eûmes, comme ministres de la Communication, Jack LANG ou Nicolas SARKOZY.

Dans un tel contexte où la consanguinité n’est plus qu’un doux euphémisme, en quoi le fait que le Président d’Europe 1, Jean-Pierre ELKABBACH (par ailleurs salarié du Sénat au titre de son poste de Président de la Chaîne PUBLIC SENAT), demande au Président du parti majoritaire de droite vers qui irait sa préférence pour suivre, pour le compte d’Europe 1 (écoutée tous les jours par plus de 5 millions d’auditeurs), la future campagne présidentielle du parti (probablement celle du susnommé) est-il choquant ?

La réponse n’est pas forcément dans la notion de pluralisme mais plus dans celle de l’objectivité voire de la liberté de conscience des journalistes.

En effet, l’idée même de poser la question clientéliste " Qui voyez-vous pour vous suivre … " révèle de trop soupçonneux compromis à l’objectivité ainsi qu’à la liberté de conscience. Or, on estampille depuis de trop nombreuses années les radios et télévisions françaises comme étant non-partisanes et donc objectives. Un tel écueil ne concerne curieusement pas la presse écrite dont on admet communément qu’elle puisse être l’incarnation d’un courant de pensée tel " LE FIGARO " qui penche à droite, " LIBERATION " qui s’adresse à une gauche caviar à tendances bo-bo, " L’HUMANITE " qui reste l’organe officiel du Parti Communiste Français ou encore " MINUTE " qui satisfait un lectorat réactionnaire voire extrémiste. Toutefois, les prises de position de Serge DASSAULT, Vendeur d’Armes et Député UMP, lorsqu’il a racheté " LE FIGARO " ont ému : il voulait que son journal proposa ce qu’il voulait lire … traduisez ce qu’il pense.

Cela étant, et si les choses sont plus claires dans l’écrit, que n’en est-il pas de même pour le parlé et le télévisé ! ! Les exemples d’orientation partisanes de certains média sont légion. Il n’est besoin de citer que TF1 et le balladurisme ou encore France-Inter et le OUI pour la Constitution Européenne de 2005. Sur le dernier exemple comme pour le traitement réservé aux thèses sécuritaires incarnées par Nicolas SARKOZY, les éditorialistes politiques toutes chaînes confondues ainsi que les journalistes de services politiques de grandes stations se sont tous fourvoyés dans une dérive consistant, finalement, à devenir les fers de lance de leurs propres convictions (au mieux) ou de celles d’un microcosme très parisianniste avide de cocktails qui a su jouer les rouleaux compresseurs (au pire) en annihilant l’objectivité nécessaire que le public citoyen attendait certainement trop aveuglément.

Le cordon ombilical n’est pas coupé, ne l’a jamais été e ne le sera jamais tant que TF1 aura pour actionnaire majoritaire une société de travaux public qui a pour obsession de faire signer des lucratifs contrats publics et donc de plaire aux ministres ou aux élus qui signeront de si jolis protocoles. Il en est de même pour Europe 1 avec son actionnaire qui espère vendre énormément d’avions, pour " LE MONDE " dont le livre de Pierre PEAN a tenté de démontrer qu’il était devenu, sous la houlette de sa direction d’alors, un journal à charge contre certains ambitieux sans que le respect de la justesse de l’information ait tout le temps été respectée.

La limite est là : de tels errements dont on peine à apprécier lequel est la conséquence de l’autre amènent irrémédiablement vers la désinformation qui elle-même s’organise en système cohérent, la propagande.

Il y a donc là un danger pour la démocratie et la liberté d’expression si la ou les incarnations de cette pensée dominante devait avoir les moyens de prendre le contrôle des vecteurs d’opinion que sont les média français.

SI l’affaire SARKOZY / ELKABBACH n’est que la pointe émergée de l’iceberg, elle a au moins le mérite de mettre en évidence les limites d’un tel environnement qui ne dispose, au final, d’aucun contre-pouvoirs efficace sinon celui de la responsabilité des décideurs et directeurs de chaînes assaillis par les demandes et aspirations des conseillers en communication de nos chers élus qui, par amnésie navrante, privilégient toujours la forme au fond et oublient les retentissantes bévues de ceux qui ont cru ces professionnels de l’image comme des mages dotés de pouvoirs immanents pour combler les abysses résultant de l’absence de choix politiques courageux et personnels.

Candides, continuez de sommeiller, on s’occupe de vous faire voter dans le bon sens.

Pour les autres, régalez-vous : le barnum électoral à caractère présidentiel vient d’ouvrir avec ses improbables et inimitables tartufferies. Mais de grâce, ne feignez pas l’indignation : cela a toujours été.

Je vous concèderai juste que cela s’envenime.

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