Demain, cela fera 20 ans ... c'est peut-être pour cela que j'étais dans un appartement vide où trainaient ses affaires, comme si la vie l'avait fauchée et qu'elle ne reviendrait plus. C'est pourtant bien ce qu'il s'est passé il y aura pile 20 ans demain.
J'ai donc rêvé que j'étais dans un appartement mal rangé, ce qui n'était pas son habitude même si les turbulences de la vie faisient que, parfois, c'était un peu le cas. Nonobstant, c'était toujours mieux qu'une chambre d'adolescent parce que les meubles Empire et les fauteuils Second Empire habillaient le tout. La vue sur la Tour Eiffel ne gâchait rien non. Oui mais voilà, je l'avoue : je n'avais jamais déambulé dans son appartement de la rue Charles Floquet sans elle. D'ailleurs, je ne reconnaissais pas cet appartement donc peut-être n'étions-nous pas dans cet appartement là, mais un autre. J'ai reconnu des bas de soie dont je sais qu'elle les mettait. J'ai reconnu des escarpins à talons d'ua moins huit centimètres parce qu'elle ne mettait pas autre chose. Pas de doute, j'étais bien chez elle.
Chez elle ... sans elle. C'est un peu la vie depuis vingt ans moins un jour.
Dans ce rêve qui a surgi comme ça, avec violence comme l'annonce de son décès me fût faite, j'étais donc au milieu d'affaires que je savais être les siennes en étant persuadé qu'elle ne reviendrait plus. Ce moment d'après où tout se bouscule, tout est flou, tout est à construire parce que le vide est immense. Oui, je me vois dans ce salon où, manifestement, elle est partie si vite. C'est peut-être exactement ce qu'il s'est passé ...
Elle est décédée un dimanche soir, sur un quai de métro. On m'a dit qu'elle s'était effondrée, fauchée par je ne sais quoi qui lui fut fatal. Le tourbillon de la vie a fini par cesser, en fin de semaine, à la faveur d'une torpeur propre aux débuts de mois de mai. Ce que j'avais sous les yeux était le signe d'une brutalité soudaine, d'une cassure nette et sans appel. Comment peut-on partir de façon plus anonyme que sur un quai de métro un dimanche en fin d'après-midi, alors que tout le monde se presse pour rentrer chez lui après l'après-midi ensoleillé et avant de reprendre la semaine ? Un tel départ définitif n'est-il pas à la hauteur du personnage, en ce qu'il ne laisse pas de place au signe d'affaiblissement ? Etre fauché de cette façon ne vaut-il pas toutes les préservations des apparences dont elle était friande ?
Quand mon père m'a appelé le jour d'après en fin de matinée pour m'annoncer qu'elle était décédée la veille sur ce quai de métro et que sa dépouille se trouvait à l'Institut médicolégal à côté de Bercy, j'ai littéralement vu les murs s'effondrer quelques minutes. J'étais proche d'elle, certainement l'un des plus proches les derniers mois. Nous nous étions confiés des choses que je n'ai toujours pas dites. Elle avait compris tant de choses à mon sujet, avait reconnu la force de caractère qui était la sienne et le goût des belles choses que nous partagions ensemble. C'est en déménageant son appartement de la rue Charles Floquet que nous nous étions rapprochés et qu'elle m'avait confié tant de choses, donc certaines affaires de son mari qu'elle idolâtrait. Lui était parti au début des années 1980 en lui laissant la peine, les larmes et les problèmes qui n'ont pas de solution. Elle avait fait face, en gardant toujours une dignité de titane malgré les circonstances et les épreuves. Elle côtoyait les grands de ce monde qui ne l'avaient jamais accepté mais lui laissaient le rayon de lumière qui lui redonnait de l'oxygène pour y croire encore. C'était vain, mais c'était déjà ça. J'ai reconstitué le parcours de sa jeunesse pendant la Seconde Guerre Mondiale, l'après-guerre dans la France coloniale, les réseaux de résistants qui profitèrent des Trente Glorieuses ... oui, elle m'a tout expliqué, tout montré jusqu'au dégoût d'avoir vu s'évaporer les amitiés après le décès de son mari notamment parce qu'elle n'était pas de confession juive. Dans ce salon, j'ai reconnu la petite pendule qui trônait sur sa table de couture et témoignait des heures infinies qu'elle passait à coudre pour celle qui devint première dame, celle qui passait au 20h tous les soirs ou d'autres. J'ai revu ce tableau dont elle me disait qu'il était beau alors qu'objectivement ce n'était pas le cas mais il y avait certainement matière à ne pas avoir un jugement objectif en la matière à raison d'une histoire passionnée.
Je me suis réveillé d'un coup ... d'abord interloqué parce que je ne comprenais pas pourquoi je rêvais de cela à ce moment là alors que rien n'expliquait qu'il en soit ainsi. Et puis ... je me suis souvenu que nous étions le 1er mai, j'ai compté ... et là je me suis souvenu que le 4 mai 2003, ma tante est partie. J'ai déjà raconté notre denier échange ici. J'ai toujours gardé le costume sur lequel ses doigts se sont posés une dernière fois pour moi.
Tto, qui pense à elle souvent parce qu'elle lui manque terriblement