C’était l’époque où j’errais dans ma vie de collégien de quatrième. Pas l’envie, pas le cœur, pas la perspective non plus de me dire que j’allais rester longtemps : mes parents avaient décidé de vendre notre maison. J’étais donc promis à un départ imminent. Aussi, ma scolarité se sentait mal. J’étais l’exemple type du « peut mieux faire », à tous les étages.

La somme des matières qui auraient gagnées à être un peu plus travaillées était impressionnante. Dans celles-ci, il y avait l’anglais. J’étais avec la même professeure depuis deux ans. Un petit bout de bonne femme à l’accent parfois indécis mais elle avait à mes yeux plusieurs qualités : elle m’aimait bien, elle me mettait des bonnes notes et elle avait pour approche pédagogique de faire jouer des scénettes en anglais devant toute la classe. Quand j’étais limite sur les « homeworks » ou que le manque de concentration était criant, je rattrapais le tout en représentation, en surjouant un peu ce qui la faisait éclater de rire.

C’est ainsi qu’au creux de l’hiver, elle me demanda un jour de rester quelques minutes alors que le cours était terminé. Dans sa tête avait germé une idée : que nous nous collions à une pièce de théâtre. Bigre … elle me demanda si cela me plairait, si j’avais une idée de quelque chose et surtout si j’étais partant puisque cela requerrait un peu d’investissement personnel en dehors des cours. A tout cela, j’ai évidemment répondu oui. L’idée dans mon esprit était de trouver une pièce amusante, pas trop longue avec une pluralité de personnages. L’idée était aussi de constituer une troupe. Et c’est là que nous nous sommes mis à réfléchir : elle avait ses idées, j’avais les miennes et surtout des affinités qui ne coïncidaient pas forcément. Au bout de quelques jours, nous avons réussi à nous accorder et elle proposa aux six intéressés le projet. Elle me réservait le plus beau rôle, je la laissais donc faire toute la distribution, puisque j’avais évacué ceux que je ne voulais pas voir.

Du Tristan Bernard, excuse du peu. « L’anglais tel qu’on le parle », évidemment puisqu’il fut évident qu’une professeure d’anglais raccrocha avec sa matière de prédilection.

Nous avons procédé à plusieurs répétitions. Nous avons affiné plusieurs éléments de mise en scène, Madame Tignon ayant une vision de ce que cela devait donner. Je l’entends encore s’esclaffer lorsque, grimé en vieil anglais revêche, j’apparaissais avec des sourcils asymétriques en décrochant un téléphone et en hurlant un « Euuuuuuuullooooooooo ? ». Elle n’en pouvait plus. Au passage, elle ne m’avait pas fait de cadeau puisque j’avais le rôle le plus exposé mais surtout celui qui était tout en anglais. Anglais sommaire certes puisqu’il fallait qu’il fût compris par un public français mais tout en anglais quand même.

Nous négociâmes avec le proviseur du collège pour qu’il n’y ait pas qu’une seule représentation mais quatre. Trois dans l’après-midi pour le maximum de classes du collège et une représentation le soir pour les parents. Du coup, toute la troupe a loupé le cours d’éducation sexuelle qui était évidemment le dernier de l’année. Mais surtout, nous avons adoré nous produire et moi particulièrement. Madame Tignon m’a remercié à la fin pour le résultat qui n’était pas non plus du Cours Florent mais qui était ma première expérience théâtrale. C’était excitant ce grand vide avant de rentrer sur scène, comme sauter d’un plongeoir en se disant que oui, l’eau serait froide. Cette adrénaline n’avait pas son équivalent.

C’est ainsi que j’ai fini l’année scolaire de cette quatrième, étrange. Je l’ignorais mais je n’allais pas revenir dans ce collège puisque mes parents avaient décidé de déménager et cela fermement au point que j’ai commencé une nouvelle année scolaire loin, un peu déraciné.

Tto, on stage