CQFD HabibiS'il y a des questions qui demeurent fascinantes nonobstant les lectures accumulées et les outrances en réaction, c'est bien celle de la virilité dans le monde musulman et son affichage sur des populations dites sensibles parce que LGBTQIA+ [et que le dernier ferme la porte du placard]. A l'Institut du Monde Arabe (IMA), l'exposition "Habibi, les révolutions de l'amour" se propose d'afficher fièrement ce que les fondamentalistes refusent même d'envisager. Voici ce qu'il faut en dire ... de l'exposition, pas de la question même si l'exposition apporte déjà une savoureuse réponse.

Poursuivant la mise en valeur par l’IMA des 1001 facettes de la culture arabe et de sa créativité, "Habibi, les révolutions de l’amour" présente, déployées sur 750 m² , des œuvres récentes autour des identités LGBTQIA+. Autant de nouveaux regards, exprimant avec force les interrogations sociales, personnelles et esthétiques qui traversent la création contemporaine. Tel est l'accroche délivrée la musée, qu'il complète en posant tout un tas de questions : Comment les identités sexuelles et de genre sont-elles représentées dans la création contemporaine ? Comment circulent-elles ? Quelles stratégies esthétiques déploient-elles pour décrire et confronter les sociétés ?

Au travers de créations photographiques, peintures, vidéos, performances, littérature, animations, la parole est donnée aux artistes, et à leur récit singulier qui dessine leurs doutes et leurs fragilités. Et c'est bien cela qui exhale du tour que l'on fait au travers de la collection présentée qui commence dans la lumière et finit dans les néons violacés et cotonneux de la seconde salle.

Oui, c'est une histoire à raconter parce que c'est une histoire cachée ou niée parfois. Difficile d'en appréhender les contours et les rugosités quand on n'a pas traversé ce chemin, mais les expériences de vie ont fait que j'ai échangé avec celles et ceux qui se sont frottés au dogme de la virilité normée des sociétés musulmanes [les autres religions n'ayant absolument rien pour se dédouaner en la matière, même si cela semble néanmoins plus fort chez les musulmans]. Une histoire à raconter qui s'effeuille au gré des premiers tableaux présentant des garçons aux regards perdus, aux postures témoignant du poids qui pèse sur leur épaules. Des femmes aussi qui, au détour d'un ivresse des sens, livrent leurs corps à d'autres femmes sans retenue ni crainte du regard. C'est bien cela la clef : le regard et certains tableaux sont bouleversants à cet égard.

"On a voulu rendre visible ce qui est trop longtemps resté invisible ... rendre visible une évidence et ce qui est trop longtemps resté invisible" savoir le bouillonnement culturel du monde arabe sur ces questions, assure le président Jack Lang. C'est la première fois qu'à Paris est offerte une traversée dans la culture queer du monde arabe, lui aussi bousculé par les questions de genre comme tous les autres. On est loin du manifeste militant, juste celui de l'affirmation de l'existence et c'est vrai que les 23 artistes peintres, photographes, plasticiens, illustrateurs et autres, issus du Maghreb, du Machrek, d’Iran et d’Afghanistan permettent de vagabonder dans cet univers caché des regards comme s'il n'avait jamais existé alors qu'il est bouillonnant.

Ces questions traversent le monde arabe et les exemples sont nombreux de vernis qui craque au gré des présentations de films dans divers festivals, d'exemples de livres présentant le choix impossible entre le désir et la foi, et j'en passe. Tout cela demeure extrêmement tabou et l’homosexualité est encore largement réprimée, parfois de la peine de mort comme en Iran, en Arabie saoudite ou en Afghanistan. "On a conscience que cette exposition est quelque chose d’assez unique tant sur le plan international que régional" reconnait Khalid Abdel Hadi, co-commissaire de l’exposition, jordanien qui a fondé en 2007 le webzine "My.Kali" dédié à faire entendre les voix de la communauté queer du monde arabe.

Au gré des déambulations, on croise des corps certes mais on serpente finalement dans une seule et même thématique : le départ et le déracinement parce que sous couvert de représentations intimes, c'est d'exil et d'arrachement d'une société qui nie ce qu'elle refuse dont il est question. Et c'est en Europe ou aux Etats-Unis que l'asile se trouve ... avec, parfois, les circonstances de la guerre pour les syriens réfugiés en Allemagne. A cela s'ajoute le fait que le déracinement n'est qu'une partie du problème : l'oubli en est une autre. Dès lors, l'œuvre de mémoire prend tout son sens dans ces représentations parfois floues comme pour signifier la perte de repères, ces photos de modèles trans, cette représentation du parcours Grindr à San Francisco, etc.

A la fin, j'ai eu le sentiment de n'avoir qu'effleuré le sujet, d'en vouloir encore plus, de laisser se déverser ce qui me semble encore retenu parce que pas assez tsunamesque. C'est la loi du genre que d'opérer une sélection dont on peut souligner la qualité et soucieuse de présenter différentes formes artistiques.

Aïcha Snoussi, Self-portrait, 2021. Collection Jean-Marc Decrop. Expo Habibi à l'Institut du monde arabe

Mon chemin continue donc au travers de cette question fascinante et de celle, connexe, de la norme virile dans les sociétés musulmanes. 

Après-midi pédagogique interacadémique Habibi

L'exposition "Habibi, les révolutions de l'amour" est à l'Institut du Monde Arabe, du mardi au vendredi de 10h à 18h, les samedis, dimanches et jours fériés de 10h à 19h. Plein tarif : 10€. Jusqu'au 19 mars 2023 [elle a été prolongée].

Tto, qui a beaucoup aimé