Acte II, Elisabeth Borne réussit le pari d'agréger le mécontentement ambiant contre la réforme des retraites et de remettre tout le monde dans la rue. Alors, "tout le monde" peut-être pas mais, au moins, on ne peut pas dire qu'elle n'y donne pas du sien pour figurer à tous les étudiants en communication politique l'alpha et l'oméga de tout ce qu'il ne faut pas faire, y compris balancer dans une interview dominicale la traduction d'une rigidité bornée qui ne sert à rien d'autre que d'être un chiffon rouge devant le taureau.
Il faut dire qu'elle avait déjà vandalisé pas mal de digues : changement d'argumentaire selon les jours et les angles, flegmatisme vaguement crédible, aberrations rhétoriques ... ah ça oui, rien n'aura été épargné alors même que les travaux parlementaires n'ont pas débuté. C'est simple : la réforme devait être juste, économique et de nature à péréniser le système : elle n'est pas si juste que cela y compris pour les femmes, elle creuse les déficits jusqu'en 2027 et elle ne pérennise pas le système parce qu'elle entretient l'idée d'une récurrence inéluctable à devoir réformer un système qui n'est plus financé à mesure qu'on dégaine des dispositifs qui ne génèrent plus de cotisations [merci les primes Macron et les heures supplémentaires défiscalisées].
Surtout, elle focalise le débat sur la valeur travail en antagonisant les branleurs et ceux qui travaillent durs et se font avoir à cause de ces salauds de gauchistes qui vivent de subventions. Bah voyons ... sauf que le gouvernement, empêtré dans les corners dans lesquels il se met tout seul comme un grand, oublie que les réformes antérieures ont constitué des fonds de réserve de près de 200 milliards d'euros, que l'âge de la retraite est un totem auquel l'exécutif s'accroche en dépit du bon sens alors qu'il fendrait le front syndical en étant moins rigide. Au surplus, il n'a même pas d'argument politique, la seule tentative ayant été d'expliquer que l'élection présidentielle et les législatives ont validé l'adhésion du peuple à la réforme ... qui n'est pas celle qui est présentement discutée. C'est un peu court et surtout nier le contexte particulier desdites élections, un peu comme si l'accessoire devenait la motivation principale selon les circonstances et les opportunités. C'est finalement de cela dont il est question : les postures et l'opportunité, avec des ministres qui vont au charbon tantôt pour dire qu'on a manqué de pédagogies avec ces crétins de français qui n'y comprennent rien [lesdits ministres avouant à demi mots qu'en bons français, ils pédalent autant dans la semoule].
Qu'on le veuille ou non, pour utile qu'elle puisse être, la réforme des retraites n'a pas fait, ne fait pas et ne fera pas l'objet du grand débat national censé purger les hostilités. Non, cela n'aura pas lieu tout simplement parce que cela obligerait à sortir de son couloir et, au gouvernement, d'expliquer pourquoi il évacue certaines options probablement plus acceptables. La bataille de l'opinion est perdue, et il n'est même pas certain que la bataille politique puisse se gagner au Parlement tant la majorité relative semble peu mobilisée. Avec de tels bataillons et des généraux ministres si approximatifs [Olivier Dussopt faisant presque de la peine, surtout quand le loup Riester est dans la bergerie], on aurait tort de croire encore au succès du projet censé redorer le blason présidentiel, ce qui procède plus du fait de craquer une allumette sur un lac d'essence. Ah mais justement ... les français sont ulcérés à cause de tout, y compris de l'essence. Mais qu'importe, on va en rajouter un peu parce qu'il en va de la crédibilité française à pouvoir se réformer. Il n'y a pas de plan caché vendu à Bruxelles, il y a surtout une démonstration de la capacité du pays à affronter ses propres déficits et son inadaptation à disposer d'un gouvernement susceptible de pouvoir l'amener à la réforme de la raison.
Pour le coup, les syndicats ne sont pas dans leurs partitions classiques, ils laissent la Première Ministre se fourvoyer seule, semblant presqu'attendre la prochaine démission de son gouvernement, la prochaine crise politique et l'inévitable dissolution qui suivra. Plutôt que d'ouvrir la discussion, on va dans le sens inverse en expliquant que l'âge de 64 ans n'est plus négociable. Pour la "concertation" si chère à Elisabeth Borne, on repassera et on finira donc par se rendre à l'évidence : les mots n'ont plus aucun sens. Les manifestants d'aujourd'hui seront galvanisés, le gouvernement plus raide que jamais en tablant sur un essoufflement du mouvement ... difficile de croire que les braises vont s'éteindre quand on fait tout pour les raviver.
Y a pas à dire, ça dépasse la Borne.
Tto, qui regrette encore que le manque de courage politique conduise à de telles impasses