Contrairement à ce que l'on peut encore lire ou entendre, la fête des morts n'était pas hier [1er novembre qui est la Toussaint] mais bien aujourd'hui. Et c'est, comme souvent, l'occasion pour moi de faire un billet sur la mort.
Vaste sujet que celui-ci. n'est-il pas ... d'autant qu'il a des accroches assez fortes sur moi. Je ne vis pas hanté par l'idée même du trépas, je vis simplement avec l'idée que cela arrivera bien un jour et je nourris à l'égard d'une telle perspective un flegme probablement illusoire. N'empêche, l'idée me poursuit régulièrement et depuis longtemps. Le cauchemar récurrent que je faisais quand j'étais petit était celui de me faire tuer sur un champ de bataille en hurlant à mes assassins que j'avais été un garçon qui avait su lire l'heure à trois ans. Oui, j'y ai toujours trouvé un motif de valorisation ... n'oublie pas que j'étais un garçon passionné par les horloges, les montres et les pendules.
Avec le temps, les rêves de décès se sont multipliés en nombre mais aussi en variété : écrasé par des pylônes électriques, poursuivi par des mercenaires dans une foret tropicale de laquelle je ne pouvais m'extirper et donc je tombais toujours soit dans une cascade démentielle mais mortelle ou du haut d'une falaise. Quand j'étais petit aussi, j'étais fasciné par les morts tragiques et quoi de mieux que la mythologies des rois et reines de France pour forger en la matière un imaginaire fantasmagorique. Tu comprends alors aisément que ma période préférée soit celle du XVIème siècle qui regorge en la matière d'exemples savoureux. La fin des Vallois est pour moi un délice mortifère et lugubre dont je partage la fascination avec le dernier d'entre eux sans pour autant verser dans une mystique psychiatrique comme c'était le cas avec Henri III.
Or donc, au delà de ces images d'Epinal qui peuplent mon esprit fécond, l'idée même de la mort est présente. Je l'apprivoise en l'appellent par son nom directement, en la regardant en face quand elle rode pas loin, en la contextualisant quand je fouille dans les méandres d'une généalogie fertile en petites histoires macabres, en la dédramatisant quand je le peux comme une réaction aux ascenseurs émotionnels auxquels j'ai été habitué petit parce que je suis le fils d'une femme qui se voit mourir à chaque Noël ou dès qu'elle entreprend des examens médicaux. Oui, l'idée mortelle m'habite, ce serait inutile de le nier voire même surprenant de dire le contraire comme s'il fallait, par superstition, ne pas en parler. En quelque sorte, c'est la suite logique des choses, comme débarrasser la table quand le repas est achevé. En outre, je suis friand des traditions et usages en vigueur quand la mort s'est invitée, c'est encore plus frappant quand on envisage le protocole républicain ou royal dans lequel je me vautre avec délices. Pourquoi ? Parce que la mort est finalement le dernier point de rendez-vous où l'on maintient les repères en la matière nonobstant l'évolution plus ou moins heureuse des choses. Oui, cette égalité non négociable devant l'inextricable remet l'église au centre du village sans mauvais jeu de mots ... et j'aime bien cela.
En banalisant la mort comme je le fais, je donne l'impression factice que je domine tout cela, en cela conforté par la maîtrise des émotions en la matière. Je te rassure : il n'en est rien et il suffit de voir dans quel état je suis quand un animal passe l'arme à gauche ou qu'une figure qui m'a toujours accompagné se retire. Oui, je suis balayé mais, fidèle à cette préciosité qui me résume si bien, je ne le montre pas en laissant le tourment tout ravager à l'intérieur pourvu qu'on puisse voir en moi un roc insubmersible auquel s'accrocher et déverser toute sa peine. Ce n'est pas que cela m'apaise, cela me divertit un peu du fait que je suis inconsolable.
L'une des questions rituelles que je pose en inTtorview, c'est "Si tu pouvais revivre 30 minutes, lesquelles choisirais-tu et pourquoi ?" [je reconnais qu'il y en a d'autres mais ce n'est pas tout à fait le sujet là]. Certains essayent parfois de me retourner mes questions pour essayer de lever le rideau épais qui obstrue l'accès à ce qui me constitue. Il n'empêche que je répondrais indubitablement qu'il me serait impossible de ne pas choisir de revivre une fin d'après-midi avec ma grand-mère quand celle-ci me préparait son merveilleux riz au lait alors que je rentrais du jardin dans lequel j'avais fait de la balançoire. Trente minutes, c'est peu mais c'est à ce goût d'éternité que je souhaiterais regoûter, puisque la mort m'en a privé il y a 42 ans ... Oui, très tôt, elle s'est invitée dans ma vie en me privant de ma grand-mère pour laquelle j'avais une passion au moins équivalente à celle qu'elle nourrissait à l'endroit de son premier petit fils que j'incarne encore.
D'ailleurs, tu auras noté que "la mort dans l'âme" sonne phonétiquement comme autre chose, comme l'amor dans l'âme. Tout en multi-facette, tout moi.
Tto, à mort