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C'est l'histoire d'une femme au sujet de laquelle on a consciencieusement demandé à Dieu de la préserver ... et, finalement, de telles prières ont été exaucées quand on envisage les tempêtes et bourrasques qu'elle a affrontées. En fait, ce n'est pas l'histoire d'une femme, c'est l'Histoire avec la majuscule la plus appropriée qui soit tant la disparition d'Elizabeth II résonne comme celle du dernier géant du XXème siècle. Oui, assurément, la déflagration qui a eu lieu hier à 19h29 heure de Paris quand la BBC a affiché un écran noir pour annoncer le décès de la Reine est bien de celles que l'on qualifie d'historiques, celles qui font un tel fracas qu'on a peu de peine à entendre las page du grand livre de l'Histoire des peuples se tourner même si les esprits se préparaient depuis quelques temps.

Sans verser dans les hagiographies excessives propres aux moments d'émotions planétaires, il n'est tout de même pas exagéré de souligner le caractère historique de ce qui s'est passé hier. D'ailleurs, je me fie toujours à mon instinct et dès que j'ai appris que la BBC avait cassé son antenne en raison des préoccupations des médecins de la souveraine, j'ai bien senti que l'Histoire se faisait sous mes yeux, de sorte que j'ai appris en direct la nouvelle en regardant la BBC qui, à 19h28 a cessé de parler, proposé un écran noir pendant trois secondes ...

... puis l'annonce est tombée. Et je me souviens avoir eu le souffle coupé. Oh ce n'est pas qu'on ne s'y attendait pas ni que toute l'après-midi les esprits n'avaient pas été préparés ... mais voilà, Elizabeth II faisait partie du paysage depuis toujours comme pour 83% des britanniques et donc, par analogie, plus de 80% de la population mondiale. Comment se faire à l'idée que cette femme, devenue monarque sacré équivalent d'une divinité, n'était plus ? Comment réconcilier le fait que les deux corps d'Elizabeth II n'étaient plus un, le corps monarchique réputé perpétuel et son enveloppe physique qui n'était donc plus ? C'est en cela que la déflagration est redoutable et finalement totale. Au delà des critiques sur la gestion de la "firme" ou les avatars d'un règne de plus de 70 ans, c'est surtout cette page d'Histoire qui saisit d'émotion parce qu'Elizabeth II était, finalement, le dernier trait d'union avec le XXème siècle, le dernier monument s'étant frotté aux Churchill, Kennedy, Staline, Brejnev, Nixon, Castro, Pinochet, Mitterrand, De Gaulle, Thatcher ... la liste est si longue qu'il serait vain d'espérer pouvoir en dresser une énumération par définition incomplète. Oui, Elizabeth II était le dernier grand géant du XXème siècle, le dernier témoignage d'une époque révolue aujourd'hui, avec son lot de contingences inédites, de drames vertigineux et surtout d'épreuves dont on ne peut que souhaiter n'avoir jamais à connaître.

Au delà de la vie de roman magnifiée par les tabloïds et la presse à scandale, le deuxième règne le plus long du monde [rappelons que le record de Louis XIV demeure] ne peut se résumer et c'est bien cela qui donne le vertige. Même Netflix en produisant "The Crown" a nécessairement opéré des impasses. Toutefois, on peut souligner plusieurs choses s'agissant de la trace qu'Elizabeth II laissera dans l'Histoire. Elle aura été la souveraine d'un tiers de l'Humanité en 1953 pour n'être plus que celle d'un pays nostalgique de l'empire qu'il était, celui sur lequel le soleil ne se couchait jamais, et qui se fracture à mesure que le temps passe. Si le Royaume était uni, il est désormais davantage désuni au point que nombreux sont ceux qui redoutent les années à venir [sécession de l'Ecosse, résultats des élections de 2024 des plus incertains, Commonwealth qui se réduit comme peau de chagrin, effets délétères du Brexit]. Ne gouvernant pas, il serait injuste d'accabler Elizabeth II pour tout cela, simplement elle fut la spectatrice du racornissement de l'empire. Face à cela, il faut néanmoins souligner qu'elle a joué [et sa disparition ne fait que souligner cela] un rôle de symbole d'unité nationale. Voulant préserver absolument la monarchie, la souveraine, qui jouissait d'une cote de popularité de 83% au moment de son trépas, était le seul sujet sur lequel ses sujets ne se disputaient pas [ou plus]. La ferveur populaire que l'on observera dans les cérémonies officielles du deuil national qui a débuté n'en sera que la plus formidable démonstration : elle rassemblait et, peut-être, était l'arbre qui cachait la forêt d'une désunion gangrénant le royaume, en particulier depuis 2015. En cela, l'héritage est lourd à porter pour Charles III, dépositaire d'une telle mission alors que les vents sont si contraires. C'est au crédit des soixante-dix ans de règne qu'il faut inscrire une telle réussite et c'est probablement le succès de sa vie que d'avoir réussi à maintenir le royaume uni. Tout le reste est balayé : les frasques douteuses de son fils Andrew, les divorces ou tout ce qui fit le miel de la presse populaire qui a joué à massacrer les Windsor depuis plus de cinquante ans. Derrière le regard d'acier de la Reine et son sourire inoxydable, derrière les toilettes colorées et le salut de la main, derrière la silhouette frêle mais toujours présente de la grand-mère d'un pays qui était devenue une figure incontournable de la pop-culture, tout est balayé. On se souviendra de Diana, de Meghan, de Margaret qui sombre, des gaffes du Prince Philip ... mais face au poids du règne d'Elizabeth II dans l'Histoire, c'est bien l'image de cette jeune fille ayant combattu les nazis et pétrie d'un sens sacrificiel du devoir que l'on retiendra avec nostalgie parce qu'il y a fort à parier que, jamais plus, nous ne verrons plus cela. La couronne restera et avec elle tout le tralala qui l'accompagne permettant aux successeurs d'Elizabeth II de jouir du même prestige [rappelons la caractère sacral de la monarchie outre-Manche] mais il sera difficile de retrouver telle coincidence entre les circonstances historiques majeures et une telle adhésion d'un peuple [et bien au delà du seul Royaume-Uni comme du Commonwealth]. En fermant les yeux, Elizabeth II a refermé celui de ce XXème siècle qui appartenait déjà aux livres d'Histoire. En quittant ce monde dans lequel elle était tant identifiée, elle laisse un vide vertigineux duquel chacun peine à réaliser qu'il ne reverra plus sa redingote framboise ou son chapeau vert anis. En expirant, Elizabeth II précipite son pays mais aussi le monde dans ce XXIème siècle incertain où les esprits totalitaires croient voir l'opportunité de prospérer, ce contre quoi elle s'est toujours battue. En achevant sa mission jusqu'au dernier moment [elle a reçu Liz Truss pour l'investir en qualité de Première Ministre 48 heures avant de décéder], elle oblige à revoir, avec admiration, ce parcours hors du commun, cette époque si singulière qui a trouvé son terme avec l'annonce de son décès pour lequel quelques photos demeurent un témoignage.

Members of the Royal Family, wearing crowns, gather on a balcony. Young Elizabeth smiles and waves. Princess Elizabeth and the Duke of Edinburgh pose, arm in arm. A portrait of Princess Elizabeth with her one-month-old son in a crib Hundreds attend a coronation ceremony, with the new queen seated on a throne. The Queen and her husband stand and listen. The Duke of Edinburgh, Jackie Kennedy, Queen Elizabeth, and President Kennedy stand next to one another in a line, wearing evening clothes The Queen stands on a balcony beside Princess Diana, who wears a wedding gown, and her new husband, Prince Charles. The Queen, wearing a crown and a long cape carried by four boys, walks through a crowd after giving a speech. The Queen speaks beside U.S. President Barack Obama at a banquet. The Queen, in a blue outfit, sits among rows of workers all wearing bright-orange uniforms. Angela Merkel and Queen Elizabeth smile as a little robot waves to the Queen. The Queen and her husband wave to onlookers while standing in an open-top car. The back of the Queen's head; she wears a crown.

Tto, qui a vécu un moment d'Histoire