La chambre des minorités de bloocagePour un cliffhanger, c'est un coup de théâtre final de fin de saison qui ne manque pas d'éclat. Bon, j'avoue que j'avais un peu éventé la grosse ficelle en t'expliquant que le Président de la République serait réélu mais qu'il se fracasserait sur les élections législatives ... désolé pour le spoiler !

En fait, oui, c'est bien de fracassement dont il est question. Fracasser, c'est casser violemment en mille morceaux, mettre en pièces. C'est même briser ou interrompre. Et là, Emmanuel Macron a réussi à briser le mouvement initié soixante ans plus tôt à la suite de la motion de censure qui condamna le gouvernement de Georges Pompidou le 5 octobre 1962. Ne cherche pas, c’est le dernier coup d'éclat de l'Assemblée Nationale en la matière, le seul de la Vème République parce que, depuis, les gouvernements et exécutifs s'étant succédés n'ont eu de cesse que de renforcer les traits déjà prometteurs de la Constitution du 4 octobre 1958 qui rendait plus facile la possibilité de disposer d'une majorité absolue pour faire voter les lois destinées à assurer la politique décidée.

A chaque élection, les chouinards du Front National et les caciques des petites épiceries électorales qui essayaient de grappiller des subsides publics qui varient selon le résultat obtenu n'avaient jamais de mots assez durs contre le scrutin majoritaire à deux tours auquel il ne fut dérogé qu'en 1986 par pur calcul politique mitterrandien. Ah ça oui, on était dans une dictature qui ne disait pas son nom [le même Mitterrand avait parlé du "coup d'état permanent" d'ailleurs], c'était anormal que ne soient pas représentés des partis qui faisaient des scores très honorables à la Présidentielle, aux municipales ou encore à l'élection européenne. Le mode de scrutin était tellement mauvais qu'il ne l'est plus depuis dimanche soir, depuis que les populistes ont obtenu un score inespéré ... servi sur un plateau d'argent par un Président de la République mal conseillé qui a cru aux sornettes complaisantes et au fait qu'on pouvait gagner une élection sans faire campagne.

Cela dit ... il y a pourtant un exemple : Marine Le Pen avait choisi de ne pas faire campagne jusqu'à ce qu'elle se rende compte que Mélenchon la débordait et lui ravissait sa place d'opposante numéro 1. Oui mais voilà, Marine Le Pen est comme Donald Trump [à tellement d'égards] : elle pourrait écraser quelqu'un à Hénin-Beaumont qu'on la féliciterait encore.

Or donc, les résultats donnent le parti présidentiel en tête mais sans majorité absolue. Avec sa coalition, il ne parvient pas davantage à ravir les 289 sièges nécessaires pour avoir les mains libres. C'est évidemment pour cela que les électeurs se sont décidés à faire monter les deux autres pôles d'attraction déjà identifiés lors du scrutin présidentiel. Pour une fois, les élections législatives ont servi de troisième tour puisque les électeurs ont eu l'impression qu'on les privait de choix lors de la Présidentielle. Vrai ou pas, cette impression est tenace et Emmanuel Macron n'a été réélu que parce que Mélenchon et Le Pen sont encore pire [et Macron n'a pas vraiment de mal à être meilleur]. Dans ces conditions et comme je l'explique depuis plus d'un an, l'élection de députés devient non plus une formalité mais bien un troisième tour, en cela orchestré par un Mélenchon qui jouait là sa dernière bataille.

Et maintenant ... que va-t-il faire ?
Flanqué d'une Première Ministre extraordinairement mal élue dans une circonscription tellement favorable, dépouillé de ses seuls soutiens politiques qui ont été balayés par le scrutin, coincé par des institutions qui n'offrent plus que la dissolution pour rebattre les cartes, Emmanuel Macron est contraint à une cohabitation qui ne dit pas son nom. Certes il est majoritaire et sans lui aucune alternative n'est crédible, mais pour autant sa majorité relative ne lui est d'aucune utilité. Pire, le vote le contraint à devoir choisir un camp plutôt qu'un autre ou perdre des jours et des semaines à négocier avec d'anciens adversaires trop heureux de tenir là leur revanche. C'est donc le risque de l'inefficacité ... du blocage.

En d'autres termes, l'Assemblée Nationale est un patchwork de minorités de blocage. La politique fait ainsi un retour tonitruant au Parlement, contraignant la superbe de Jupiter à devoir descendre de l'Olympe pour revenir à de viles négociations vulgaires et des marchandages. Emmanuel Macron est donc parvenu à dégouter tant le corps électoral qu'il ne lui a plus donné d'autres solutions que de recycler la IVème République dans la cinquième. Alors que De Gaulle avait juré d'en finir avec le régime des partis, Emmanuel Macron le ravive indirectement et va devoir tenir sa promesse lancée un peu à la cantonade sur la méthode de gouvernement : il va devoir se réinventer.

Tu veux la fin de l'histoire ? C'est simple : le bras de fer va commencer et va consister à prendre les français à témoin. Le Président va devoir démontrer que les oppositions ne sont ni crédibles ni n'agissent dans le sens de l'intérêt général. Donc, elles profitent d'une déconfiture du système dont elles se nourrissent. A l'inverse, la Nupes et le Front National veulent démontrer que Macron est autoritaire et n'entend rien comme pour prendre des gages d'une prochaine amplification de la déculottée de dimanche soir. Pire, ils veulent jeter les Républicains dans les bras du Président comme pour les achever, ce qu'ils refusent obstinément. Bref ... la France, qui s'en moquait il y a quelques années, est devenue la Belgique. Les majorités vont se faire et se défaire, les textes seront soit insipides soit délirants [un concours Lépine populiste] et le Président ne choisira d'abattre son joker que lorsqu'il sera certain de pouvoir récupérer une majorité à mesure que les oppositions se seront décrédibilisées. C'est un pari ... je t'annonce déjà qu'il sera perdu et contraindra, s'il dissout, Emmanuel Macron à devoir cohabiter plus franchement.

Ce qui est ravissant, c'est de voir que la France a le temps et l'énergie pour se livrer à de telles gamineries qui n'apporteront rien de bon ... alors qu'il n'y a effectivement aucun sujet d'importance à gérer en ce moment. Marine Le Pen s'en moque : elle a gagné le désendettement de son parti criblé de dettes poutiniennes et un ticket pour la prochaine élection présidentielle.

Tto, qui te l'avait dit