En regardant les résultats tomber hier, c'est le premier élément d'analyse qui m'est apparu : la recomposition se poursuit au gré des fractures électorales du pays. Le premier tour de l'élection présidentielle a donc sonné comme la confirmation de l'ancrage de l'extrême droite et d'un camp centriste qui incline vers la droite classique. Oui mais il ne faut pas oublier le troisième camp, celui de la gauche qui, déjà il y a cinq ans faisait près de 20% des voix, confirme plus nettement encore sa position de force centrifuge à gauche. Cette recomposition est flagrante, la décomposition du reste est violente.
En effet, en dehors de Macron, Le Pen et Mélenchon, point de salut ... à eux trois, ils captent 72% des suffrages exprimés. La France confirme qu'elle entend être tripartiste alors que sa tradition était bipartisane. Cela valide avec d'autant plus de force l'hypothèse d'un aléa vertigineux pour les prochaines élections législatives. N'empêche : trois blocs, voilà à quoi se résume désormais l'offre politique majoritaire du pays, laminant les deux forces de gouvernement ayant alternativement exercé le pouvoir depuis 1958. Au tapis Pécresse en dessous de la limite des 5% donnant droit au remboursement des frais de campagne, pulvérisée Hidalgo qui achève la mue du PS qui n'a même plus la peau sur les os puisqu'il est dépassé par le PC pour la première fois depuis 1969. L'essai n'est évidemment pas transformé pour Yannick Jadot ni Eric Zemmour, ce dernier s'en sortant piteusement avec 7%, loin des ambitions de dynamitage dont C-News n'avait de cesse de nous prévenir. Cependant, Bolloré peut se frotter les mains, il agrège près de 33% des suffrages exprimés avec ses idées faisandées. Quant aux autres, ils demeurent sur la photo mais bien loin.
L'heure des choix est arrivée. Emmanuel Macron a compris que l'érreur de 2002 devait être évitée mais on se demande encore ce que veut dire "inventer autre chose", surtout en quinze jours. Il faudra donner des gages à cette gauche en colère qui refuse de laisser Le Pen avoir le moindre espoir mais qui déteste le candidat Président. Surtout, il va falloir faire campagne maintenant, et vraiment ...
Pour Marine Le Pen, l'équation est connue, c'est la même depuis 2012 ce qui démontre bien l'impasse d'un tel vote nonobstant le fait que ça monte. Toutefois, les impasses du programme, les paradoxes pour ne pas parler d'incohérences et les postures vont avoir du mal à résister à la quinzaine qui débute même si elle peut se féliciter d'avoir triomphé de Zemmour. Le seul axe à peu près clair, c'est qu'elle se positionne dans le référendum anti-Macron [c'est un peu court pour un programme de retour à la gloire passée].
Derrière, Mélenchon a officiellement passé la main pour la prochaine fois et Quatennens se sent déjà satellisé [ce qui va ravir Ruffin et Autain]. Mais le virage du second tour doit être négocié et il semble qu'il soit décidé de mieux le gérer qu'en 2017, en étant finalement plus clair même si prononcer le nom d'Emmanuel Macron est toujours impossible. Surtout, il va falloir à présent la faire cette union populaire de la gauche, en ramassant ce qu'il reste du PS, en se rabibochant avec le PC qui a condamné Mélenchon comme Taubira avait tué Jospin jadis. Même si rien n'est purement arithmétique, il y avait là tout de même près de quatre points à portée de main, soit plus d'un million de voix alors qu'il n'en manque que la moitié pour accéder au second tour. L'entêtement personnel de Mélenchon aura définitivement fait beaucoup de mal à son propre camp.
Quant aux Républicains, tout n'est plus que désolation et règlements de comptes. Ciotti menace et se marginalise pour mieux organiser son départ, la ligne Jacob est anéantie et Wauquiez n'aura peut-être même pas envie de ramasser ce qu'il trouvera encore par terre. A O.K. Corral, les discussions étaient plus apaisées et les couteaux moins aiguisés. L'OPA d'Emmanuel Macron a parfaitement fonctionné ... au delà de toutes les espérances même si cela condamne aussi la logique des réserves de voix.
Voilà donc le singulier premier tour de l'élection présidentielle de 2022 et l'on aurait tort de croire que tout est joué. Même si son score augmente par rapport à 2017, Emmanuel Macron n'en ressort que plus fragilisé à force de dynamiter les oppositions classiques pour mieux cimenter l'alternative inexorable sur laquelle il ambitionne prospérer. Sauf qu'à ce jeu là, on s'approche les doigts près de la flamme frontiste quitte à risquer de s'y brûler ... et nous avec. Quoi qu'il en soit, les élections législatives seront mortifères et l'issue de l'élection présidentielle abîmera ce qui peut encore l'être. Pas de doute, tout se déroule, hélas, comme prévu.
Tto, qui se demande si tout cela est rassurant