C'est une conversation téléphonique hier soir qui m'a achevé. Alors que j'étais ravagé par la fièvre qui montait tout ce qu'elle pouvait [au point que ma meilleure montre du monde m'avait alerté plusieurs fois dans l'après-midi que mon cœur battait trop vite], le téléphone sonne et quand cela sonne, c'est forcément ma mère puisque je crois qu'il n'y a qu'elle qui dispose du numéro. 

Voix d'outre-tombe ...
Le monologue a commencé pour me parler du fait que le temps est moche, qu'elle est fatiguée parce que son cousin est parti le matin même et qu'il a fait plein de choses avec mon père ... d'ailleurs mon père se fait arracher plusieurs dents. Hein quoi ? Tu ne t'en souvenais pas ? Bah si ... ah bah non, peut-être qu'il ne te l'a pas dit mais voilà, tu pourrais presque t'intéresser quand même. Et donc, ça va pas ? Ah, t'as fait ton rappel ? Ah bon ? Ah bon tu lui as dit samedi quand elle a appelé ? Oui et ? Elle, de toute façon, c'est jeudi. Et puis bon, c'est l'angoisse Noël parce qu'elle le sent bien qu'on va être reconfinés. Hein, tu pourrais le dire qu'on va être reconfinés. De toute façon si tu ne dis rien, c'est bien que tu as l'info et que tu ne veux pas lui dire. Et au fait pour les cadeaux, tu participes au cadeau de ton frère ? Ah t'es pas au courant non plus ? Ah non mais tu pourrais aussi être au courant, pfff c'est vraiment fatigant quand même. Bah de toute façon, eux ils donnent quelque chose mais le cadeau est déjà acheté. Tu verras bien. Bon bah sinon, pas grand chose à te dire donc voilà.

J'ai évidemment ponctué de "hum" et de "han han" cordiaux mais aussi froids que le discours d'en face où l'égoïsme le disputait à l'absence d'écoute.
Je dois l'avouer : cela m'a beaucoup atteint. Oh ce n'est pas la première fois, c'est simplement qu'hier, je n'avais pas la force de me dire que ce n'était pas grave, de relativiser le fait que ma mère vit en vase clos entre ses bobos, ses angoisses, sa retraite qui se passerait mal [alors qu'elle a peu près tout pour qu'elle se passe bien] et les cadavres dans les placards liés aux querelles familiales depuis 50 ans. Ajoute à cela le fait que chaque fin d'année, on apprend toujours avec une régularité de métronome suisse que ce sera indubitablement la dernière fois pour elle et que le repas de Noël se prépare toujours dans une frénésie qui confine à la crise de nerfs [ajoute à cela le sapin, le menu, le découpage de/des journée/s ...]. Jadis, je prenais du recul et de la distance avec cela en me disant que l'essentiel était ailleurs. Mais depuis quelques années, je vois mes parents vieillir, se rabougrir à la vitesse de l'éclair quand il ne s'agit pas de nous projeter, mon frère et moi, dans des perspectives pas franchement réjouissantes. Et donc, devant ce mur d'incompréhension [semblable à celui qui fait que je me prends des réflexions parce que je ne réponds pas au téléphone alors que je suis criblé de réunions ou que mon rythme de travail est peu entendu], j'ai été profondément accablé.

J'ai écrit un message à mon frère ce matin pour lui confier tout cela, il m'a répondu quelques minutes après pour m'expliquer qu'il comprenait bien qu'il mette aussi cela en perspective du fait que je ne supporte plus grand chose et qu'il serait peut-être temps d'accepter de me faire aider ou de lâcher un peu la pression.
Oui oui, et non bien que je ne sache pas forcément ce qu'il faut faire. Il m'a invité à en parler directement à ma mère ce qui est assez peu envisageable sauf à provoquer une discussion difficile où le chantage affectif et les larmes serviront d'arguments comme à chaque fois [tout ce que je déteste, pour des raisons qui tiennent justement à de telles expériences].

Alors oui pourquoi j'écris tout ça ?
Parce que j'ai entendu que mon frère s'inquiète énormément pour moi. Je ne dis pas qu'il a tort, je dis même qu'il a raison de s'inquiéter de me voir m'enfoncer chaque jour davantage. Certes, rien n'est fondamentalement grave puisque je n'ai pas besoin de me dire que ma mère écoute ce que je lui dis, qu'elle fait passer ce qui me concerne avant ses préoccupations qui, objectivement, ne sont pas si difficile surtout si on les remet en perspective. Non non, rien n'est grave ... c'est juste qu'hier soir, avec la fièvre et les douleurs liées à ce fichu rappel, je n'avais pas besoin de ressentir cela encore, je n'avais pas besoin d'être confronté à cela encore.
Oui mon frère s'inquiète, oui mon mari s'inquiète aussi. Ce serait mentir que de dire que je m'inquiète pas moi-même. Après tout, c'est ainsi et tant que cela tient, cela tient.

Tto, qui voit les gouttes s'accumuler dans un vase probablement déjà trop plein