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une vie de tto
2 février 2021

L'épilogue nécessaire de la section 230

Sommes-nous enfin à la croisée des chemins qui devrait permettre de remettre un peu d'ordre, ce à quoi j'aspire depuis plus de dix ans, afin qu'on puisse enfin exiger des réseaux sociaux qu'ils assument les conséquences de leurs activités commerciales et mercantiles ? Je le crois ...

Aux Etats-Unis, c'est la section 230 qui a offert une licence incroyable aux acteurs des réseaux sociaux. La section 230 est issue d’une loi votée en 1996 par le Congrès, intitulée "Communications Decency Act", et est considéré comme la première vraie tentative de réguler le contenu pornographique sur Internet au travers de l’alinéa c.1. ["aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne doit être traité comme l’éditeur ou l’auteur d’une information provenant d’un autre fournisseur de contenu informatif "] et de l’alinéa c.2., qui exonère le fournisseur ou l’usager de responsabilité civile pour un certain nombre de faits, qui sont essentiels.
En Europe, un groupe de protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, institué par l’article 29 de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, a rendu un avis [5/2009] sur les réseaux sociaux en ligne, adopté le 12 juin 2009 et je t'en parle parce que c'est la définition nécessaire de ce que sont les réseaux sociaux. Ce sont "des plateformes de communication en ligne qui permettent à tout internaute de rejoindre ou de créer des réseaux d’utilisateurs ayant des opinions similaires et/ou intérêts communs." Ce faisant, "les utilisateurs sont invités à fournir des données à caractère personnel permettant de donner une description ou un "profil", [...] les réseaux mettent à disposition des outils permettant aux utilisateurs de mettre leur propre contenu en ligne [...] les réseaux fonctionnent grâce à l’utilisation d’outils mettant à disposition une liste de contacts pour chaque utilisateur avec une possibilité d’interaction."

De fait, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique consacre quatre régimes de responsabilités spécifiques : celui de l’hébergeur ou prestataire de stockage, celui du fournisseur d’accès à internet, celui du commerçant en ligne et enfin celui de l’abonné. L’hébergeur est défini comme la personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, la mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. Cela a permis, de nombreuses fois, à Facebook notamment d'échapper à toute condamnation parce que le service "n’était pas à l’origine du contenu litigieux" [TGI Paris - 13/04/2010 en référé]. Par voie de conséquence, les réseaux sociaux sont abusivement considérés comme de simples hébergeurs assurant une activité de mise à disposition du public d’informations (écrites, visuelles, sonores, messages) par le biais de services de communication accessibles au public en ligne.
Ce n'est pas neutre ... parce qu'en qualité d'hébergeurs, les réseaux sociaux sont soumis à une responsabilité allégée : leur responsabilité civile ne peut être engagée s’ils n’avaient pas connaissance du caractère illicite du message posté par un internaute ou s’ils ont agi promptement pour retirer le contenu publié dès lors qu’ils ont pris connaissance de son caractère illicite. Le service doit notamment mettre en place un dispositif permettant aux internautes de dénoncer des contenus illicites et il doit ensuite, dès qu’il en est informé, dénoncer ces faits constitutifs d’infractions aux autorités publiques.

Ces principes étant posés [et désolé de leur aspect assez rébarbatif, mais c'est du Droit], on touche aujourd'hui du doigt le fait que ces postulats assez contestables se heurtent à la réalité. Que Facebook ou Twitter censurent les publications du Président Trump qui appelait sans trop se masquer à l'insurrection ne gêne que les nazillons qui avaient trouvé là, pendant des années et avec la complaisance des réseaux en question, une jolie tribune pour dire tout et surtout n'importe quoi [quand il ne s'agit pas de le dire n'importe comment]. Le problème ne vient pas de la finalité que beaucoup attendaient avec impatience, le problème vient du fait que Twitter comme Facebook limitent, sous le prisme de leurs propres règles, la liberté d'expression qui fonde - in fine - toute la théorie fumeuse selon laquelle ils sont des vecteurs de ladite liberté d'expression.

Au surplus, la jurisprudence des cours et tribunaux français avait rappelé que l'on n'est pas autorisé à tout dire sur les réseaux sociaux, empêchant donc la calomnie par publication sur un "mur" Facebook, le juge ayant estimé que le "mur" de Facebook, au regard de sa finalité et de son organisation et qui n’opère aucune restriction, doit être considéré comme un espace public, sauf s'il est restreint à certains "amis". La liberté de la communication électronique n'autorise pas à porter atteinte notamment à la dignité de la personne humaine.

Voici donc des outils commerciaux [qui monétisent les données des utilisateurs qui alimentent leurs réseaux] réputés être des espaces publics [sauf si l'on verrouille l'accessibilité de son profil] mais qui estiment n'être responsables de rien a priori et qui, pourtant, estiment avoir le devoir de responsabilité de suspendre définitivement le compte d'une personne dont il est estimé qu'elle serait nuisible pour le système politique local. En d'autres termes, voilà donc des réseaux qui s'estiment impuissants à contrôler a priori le contenu [ce qui est techniquement possible malgré tout] donc irresponsables mais qui le font pourtant sporadiquement. En somme, l'esprit tardif de responsabilité de Facebook, Twitter et consorts est salvateur et jette enfin le voile sur ce que j'explique depuis des années : ces plateformes sont exactement des éditeurs de contenus et en cela, elles doivent répondre des obligations en résultant. A la faveur d'un lobbying efficace auprès des instances européennes et américaines, les réseaux sociaux sont parvenus à échapper à leurs obligations. Mais en s'en prenant piteusement à Donald Trump alors qu'ils avaient enfin la certitude qu'ils n'avaient plus rien à craindre [ou que l'impunité dont il l'avait laissé jouir pourrait peut-être se retourner contre eux], les réseaux sociaux condamnent eux-mêmes ce privilège d'irresponsabilité en ce qu'ils opèrent, de fait, un choix éditorial puisqu'ils choisissent qui peut contribuer aux contenus dont ils permettent l'accès. Ce faisant, ils ne sont plus seulement des hébergeurs ou une plateforme technique, ils opèrent un choix éditorial à l'instar de n'importe quel organe de presse, ce qu'ils sont foncièrement.

Les réseaux sociaux sont un médium à part entière. Ils vendent de l'audience comme n'importe quel journal, n'importe quelle télévision. D'un point de vue extra-juridique, ils occupent même une place leur conférant la possibilité de modeler l'opinion comme n'importe quel organe de presse dont ils n'assument pourtant pas les obligations résultant, en France, de la loi de 1881. Dès lors, comment justifier que, nonobstant une niche réglementaire et par analogie, on ne demande pas aux réseaux sociaux d'adopter des comportements responsables à plus forte raison lorsque ceux-ci ont, eux-mêmes, considéré que leur influence et pouvoir de diffusion de l'information pouvait être nuisible s'il était permis à certains ? Le nettoyage de comptes qui enfreignent les dispositions légales et réglementaires est nécessaire mais procède d'une volonté éditoriale que Facebook et Twitter nient pour éviter d'avoir à gérer les publications qu'ils permettent. Si techniquement cela peut apparaître compliqué, cela n'en est pas moins possible et c'est même précisément ce que font justement, avec une pudibonderie que la technique n'entrave pas, Facebook ou d'autres s'agissant de la publication de contenus présentant la nudité de corps [au point que cela devient ridicule]. Pourquoi est-ce possible de façon si sélective ? Tout simplement parce que cela agit directement sur l'audience et que cela procède à l'évidence d'une ligne éditoriale. La ligne éditoriale représente l'ensemble des choix et décisions pour se conformer à une ligne définie qui peut être circonscrite en fonction de divers critères, qu'ils soient moraux ou éthiques, thématiques, formels, ou autre. En cela, les conditions générales d'utilisation de Twitter, Facebook, Tumblr et autres sont de véritables lignes éditoriales. Je me perds donc en conjectures quant à comprendre pourquoi l'on permet encore à des médias disposant d'une ligne éditoriale de ne pas en être responsable au motif d'obscurs contraintes techniques qui n'existent pas pour tous les sujets.

La licence accordée à Donald Trump et ses affidés depuis des années interroge aujourd'hui au point que le démantèlement de Facebook est programmé, que la modération de Twitter semble indispensable et, bien entendu, la seule question de l'anonymat est faite pour faire diversion. Il n'y a évidemment aucun anonymat qui tienne surtout quand la connexion au réseau est permise au moyen d'une adresse IP reliée à un compte permettant la facturation de son titulaire. Les cyber harceleurs savent parfaitement qu'une simple réquisition permet d'obtenir les coordonnées de celles et ceux qui se livrent à des exactions sur les réseaux sociaux, qu'ils ne se permettraient au grand jour pensant qu'ils sont protégés par un pseudo. Les hommes et femmes politiques qui hurlent au complot de l'anonymat sont aussi crédibles que ceux qui vocifèrent contre ceux qui signent des tribunes dans les journaux avec des noms d'emprunts ou qui agissent sous couvert de pseudonymes. On entend moins Eric Ciotti hurler contre l'anonymat quand on parle de Paul Bismuth et du fait que Nicolas Sarkozy pouvait agir à sa guise sous cette identité. Les mêmes qui invoquent Montesquieu et les principes démocratiques édictés par le penseur oublient aussi qu'il s'agit d'un pseudonyme.

Le temps est donc - espérons-le - venu de la fin des tartuferies en tous genres qui permettent à Zuckerberg de ne rien assumer du tissu d'âneries qu'il permet de propager au motif d'une liberté d'expression à géométrie variable alors qu'il est, à tous points de vue, un véritable organe d'opinion et de presse participant de l'exercice de la liberté d'expression laquelle n'a jamais été illimitée comme  les penseurs néophytes tentent de le faire accroire. La question de l'anonymat est factice et n'est faite que pour divertir du but principal : faire des réseaux dits sociaux des outils s'intégrant complètement dans la société à laquelle ils appartiennent faute de quoi rien que cet adjectif est fallacieux sinon spécieux.

Tto, qui n'attend qu'une chose : qu'on rééquilibre un peu tout cela

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