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une vie de tto
26 janvier 2021

L'indignation ne signifie pas automatiquement que l'on a raison

Je ne savais pas comment aborder le sujet depuis la semaine dernière, depuis que le Monde s'est embrasé du fait d'un dessin publié [donc validé par la rédaction en chef du journal], d'une déferlante de Savonarole jamais à une contradiction près qui défendent Charlie Hebdo mais considèrent que le second degré manifestement utilisé par Xavier Gorce est intolérable parce qu'il révèle un humour de classe dominante relativisant la complainte des victimes d'inceste.

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Les injonctions contradictoires du droit à l'ironie/la caricature [des propos d'Alain Finkelkraut en l'occurrence] et de la liberté d'expression dessin à l'appui revendiquée par les mêmes qui décident, pour des motifs ad-nominem, qu'elle serait limitée en l'espère m'ont laissé perplexe parce que je comprends qu'un tel torrent d'injures et d'incompréhensions met en lumière la souffrance des victimes du crime d'inceste. L’intransigeance héritée directement de la souffrance extrême subie et tue pendant des années donne-t-elle raison à ceux qui s'en prévalent et qui sanctuarisent le sujet au motif que la seule émotion que l'on puisse partager est celle de la compassion. L'ironie et l'humour sont inacceptables. Mais est-ce le cas pour toutes les indignations ? La lutte contre l'antisémitisme prohibe-t-elle l'humour juif ? Est-on homophobe si l'on plaisante sur tel ou tel point qui touche aux homosexuel(le)s ? Doit-on être jugé pour racisme lorsqu'il est question de s'amuser de personnes noires, asiatiques, latinos ou caucasiennes ?

Le dessin de Xavier Gorce pose quasiment la question et les réactions excessives [donc insignifiantes comme le disait Talleyrand], et c'est presqu'une question philosophique qui pourrait faire le bonheur des bacheliers de la cuvée 2021 pour autant qu'elle ait lieu. J'entends que l'on m'objectera que se poser ainsi la question est déjà une façon de relativiser l’immondice, me rangeant du côté des criminels puisque cela ferait de moi un complice. S'en suivent des jugements de classe, de genre ou que sais-je encore ... la créativité dans la bestialité et l'ineptie est toujours sidérante. Pourtant, et c'est précisément la question posée, le droit à la caricature, réputé convenable quand il s'agit de railler un prophète ou une religion qui n'est pas majoritaire en France, peut-il être limité aux convenances de ceux qui crient le plus fort, qui gueulent leur émotion mais dégueulent aussi que leurs émotions sont supérieures à celles d'autrui au motif qu'elles les heurteraient ? Serions-nous dans une société où l'arbitraire et le subjectif annihile le concept même de société. Du point de vue philosophique, le mot "société" est de toute façon ambigu : il désigne à la fois un ensemble de relations spontanées, fondées sur des rapports de dépendance, et également un ensemble de relations fondées sur un accord réciproque. Dans le premier cas, contrairement au second, la société ne signifie pas une association volontaire. Elle relève toujours des intérêts particuliers ; son objet n’est jamais l’intérêt général. Elle n’obéit pas à une logique d’ensemble ; elle se régule elle-même par tâtonnement, négociation ou conflit. Elle ne concerne pas directement la sphère publique. La société a des règles non instituées, comme la bienséance ou le savoir-vivre. Dans le second cas, c'est de l'Etat dont il s'agit.

Une émission de France Culture [radio de l'élite pour les contempteurs du propos] a fait la lumière sur la question en interrogeant la sociologue controversée Nathalie Heinich qui conclut que "ce n'est pas parce que l'on est indigné que l'on a raison" après avoir expliqué que l'hysétrisation du débat sur tout sujet quel qu'il soit procéderait d'un phénomène de lutte contre l'appropriation culturelle. Elle définit ainsi ce mouvement qui serait particulièrement présent en Amérique du Nord comme composé de représentants autoproclamés d'une communauté, qui ne sont pas des représentants élus et qui refuseraient que l'on puisse utiliser les éléments culturels de la communauté en question hors de cette communauté. En l'occurrence et s'agissant du dessin de presse de Xavier Gorce, la communauté serait celle des victimes d'inceste. Si l'on peut prendre parfois des distances avec les positions de Nathalie Heinich [elle fut radicalement contre le PACS, le mariage ouvert aux couples homosexuels ou la féminisation des noms de métiers notamment], le fait est que la privatisation du débat par des victimes ou ceux qui se targuent de les représenter revient à constituer des chapelles dont la référence est confisquée si elle ne va pas dans le sens de ceux qui ont privatisé la thématique ou la cause.

Et s'il y a bien cette dérive sur l'inceste, elle ne lui est pas exclusive parce que tu peux transposer cela sur tout ce qui électrise la société, des crimes abjectes commis par certains jusqu'au mouvement des gilets jaunes, en passant par la lutte contre l'homophobie [une petite minorité s'arrogeant le droit de distribuer les médailles en la matière et jouant aux Savonarole sur les réseaux dès lors que le mot "pédé" est employé] ou le racisme [les dérives associatives des années 80 étaient bien gentilles] quand il ne s'agit pas d'intolérances religieuses ou laïcardes. Dès lors que l'on s'indigne, on image donc avoir un brevet de raison justifiant que le débat soit clos au seul motif de ladite indignation. Comme dirait l'autre, c'est un peu court ...

C'est surtout que cela revient à ne plus permettre de faire société au sens philosophique du terme comme rappelé plus haut. La conjonction des intérêts particuliers devant faire société en ce qu'ils se confrontent, s'évaluent et se digèrent au sein même de la société [qui, au surplus, aura une opinion dominante qui se nuance avec le temps] n'est plus possible à partir du moment où l'on interdit dogmatiquement le débat au sujet d'une cause au seul motif que l'on ne représente pas un groupuscule/groupe ensé incarné la cause en question. C'est problématique parce que cela revient à donner un brevet aux seuls juifs pour l'antisémitisme, aux seuls gays pour la lutte contre l'homophobie, aux seules femmes pour la promotion du féminisme, etc. D'ailleurs, comment doit-on faire dans cette mesure avec la souffrance animale puisqu'aucun animal ne dispose des qualités exclusivement intrinsèques pour porter la revendication ?
En morcelant ainsi le débat et en segmentant les parcelles d'expression [incluant l'ironie pouvant en dériver], on archipelise le groupe national en constituant des chasses gardées pour tel et tel sujet. Or, la digestion de problématiques sociales n'est pas l'apanage de ceux qui en souffrent ou en ont souffert. Le problème posé par les gilets jaunes de la première heure [pas les petits bourgeois de province qui ont trouvé là un nouveau relais d'un poujadisme jusqu'alors moribond] ne leur est pas exclusif et j'estime avoir le droit d'apporter la contradiction tout en revendiquant pouvoir avoir conscience qu'une partie non négligeable [mais moins importante qu'avant] vit dans une précarité qu'il serait bon de résorber autant que possible. En tant que membre de la communauté nationale et donc de la société française, j'estime pouvoir interroger ou exprimer mon système de valeur au sujet de l'inceste, du féminisme, de la condition des hommes homosexuels, des lesbiennes même, de l'antisémitisme, de la stigmatisation des personnes noires, des gros, des vieux, des handicapés, etc. Au seul motif que je suis roux, homosexuel, cadre supérieur, citadin et en bonne santé, je ne pourrais parler que de cela ? Je ne représenterais que les fonds de commerce qui me concernent directement ? Je n'aurais donc pas le droit de m'intéresser et dialoguer au sujet de questions qui me dépassent ? Pas possible de parler des anti-spécistes ? Mais quelle est cette dictature qui décide de quel sujet il est acceptable que je porte l'évocation ? Au nom de quel principe fait-on prévaloir la condition particulière pour mieux détruire la conscience et l'opinion collective ? Peut-être au nom de la facilité consistant à adouber de la plus large légitimité celles et ceux qui expliquent avoir souffert du problème avancé, au nom donc d'une conception victimaire dont il ne faut pas ignorer qu'elle n'équivaut pas à la raison a fortiori du fait de la focale tronquée du traumatisme considéré.

On a bien oublié la philosophie des lumières luttant pour l'instauration du contrat social et des principes en découlant : Kant expliquait que la philosophie des lumières est "la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières". Ainsi, je veux pouvoir évoquer tout sujet touchant la société à laquelle j'appartiens en prenant le risque misérable de me tromper, de m'indigner sans nécessairement exiger qu'il me soit donner raison, par compassion victimisante gouvernée par la seule émotion [parfois factice et opportuniste s'agissant de certains].

Tto, qui combat les brevets particuliers le privant de sa liberté

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Commentaires
J
Merci pour ce super post
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