Je sais bien que je suis privilégié, j'imagine parfaitement que mon quotidien pourrait être bien pire. Néanmoins, l'homophobie [la vraie, pas celle que l'on instrumentalise quand on n'a pas d'arguments ou qu'on estime qu'on a une vocation fascisante de décider pour les autres] ne m'a pas épargné même s'il faut être honnête : je suis privilégié de ne l'avoir connue que deux fois.

"Nan mais Tto, c'est quoi cette histoire ... vous enseignez l'homosexualité à Rome ? C'est quoi le rapport avec mon cours et l'introduction au Droit ?" me lança le titulaire du module universitaire dont j'assumais quatre cours de travaux dirigés. Devant mon incrédulité, il poursuivit nonobstant le fait que je lui rappelle que nous nous étions mis d'accord sur un principe de liberté pédagogique consistant à m'appuyer sur son cours pour en développer un axe. "Cela n'a rien à voir ! Nous sommes à une époque où on a fait voter ce truc ... le Pacs ! Vous voulez quoi ? On ne peut pas cautionner ça, vous comprenez. Ils veulent se faire marier avec des animaux aussi ?" Je l'ai arrêté tout net en lui rappelant qu'en bon juriste, il était de bon ton de ne pas tout confondre et particulièrement des considérations discutables qui ne procèdent pas de l'opinion avec un texte légal qui n'était pas réservé aux personnes homosexuelles premièrement. De plus, je lui ai signalé que j'avais fait une séance sur l'homosexualité à Rome pour aussi mettre en perspective le droit de la famille, en suite d'une séance sur le mariage à Rome m'ayant permis de contextualiser la place de la femme dans la société romaine dont le Code civil avait pu s'inspirer directement. Je lui ai enfin rappelé que parmi ses étudiants, il y avait statistiquement 10% de garçons et de filles qui pouvaient être heurtés par un tel discours assimilant la possibilité pour deux hommes de conclure un contrat civil de solidarité avec la zoophilie. Sentant qu'il était coincé, il avait écourté notre discussion ... il avait d'ailleurs réorienté notre collaboration, étant subitement moins disponible pour échanger sur le contenu pédagogique [alors que depuis deux ans, la fluidité était de mise]. J'ai fait une année supplémentaire au cours de laquelle il ne me laissa plus qu'un seul groupe sur les quatre que j'avais auparavant [il faut être juste, cela m'arrangeait aussi de ne plus prendre une demi-journée d'absence pour aller faire cours]. Il ne me dit jamais au revoir tandis que je faisais mon dernier cours qui culminait à 40 étudiants quand les autres groupes étaient perclus par l'absentéisme.

On peut respecter aussi son supérieur hiérarchique et lui dire exactement ce que l'on pense quand il se hasarde sur le jugement de ce qui se passe dans la chambre à coucher des autres. On peut plaisanter à ce sujet mais quand il prononça sa sentence consistant à me dire que les homosexuels sont des sous-hommes, nous avons bataillé sévèrement.
- C'est vrai quand même ! Des sous-hommes Tto, je vous le dis !
- Mais au nom de quoi ? Qu'est ce qui vous permet de dire ça ...
- Attendez, c'est historique. Regardez bien que les homosexuels étaient utilisés pendant la guerre pour aller coucher avec l'ennemi et faire des Mata Hari ...
- Vous traitez tous les homosexuels de putes ? Attendez ... c'est vertigineux là
- Pas tous mais quand même. On sait bien que leur caractère est instable.
- Ah bon ?  Et ils mangent les enfants aussi ? Parce qu'en termes d'instabilité, moi je connais plein de gens bien marriés comme il faut qui pourtant ont des caractères épouvantables, jouent les marquis et se plaisent à se faire cirer les pompes pour le plaisir. Mais comme ils ont la quinte flush Femme, Maison, Enfant, Chien, et jolie voiture dans le garage on les excuse ? Arrêtez ! C'est insoutenable.
- Ce n'est pas ce que je dis mais regardez le comportement de l'autre là [un collaborateur très efféminé qui se parfumait à l'excès], c'est grotesque !
- Ce n'est pas grotesque, c'est démonstratif et le fait qu'il se parfume trop vous exècre parce que quand il vient vous consulter, ça embaume votre bureau. Franchement, vous voulez le lapider pour ça ? Quand l'autre connasse qui met des décolletés pigeonnants et se parfume autant vient vous voir, ça vous gène moins.
- N'importe quoi ... c'est bien un truc de votre âge de toute façon.
- Ca n'a rien à voir avec mon âge. La preuve, plusieurs personnes que vous aimez bien ici disent la même chose et nous avons au moins une bonne génération d'écart. Au même titre qu'il est impensable d'entendre que les femmes devraient rester à la maison pour faire la soupe et le repassage, il est intolérable de dire que les homosexuels sont des sous-hommes !
- M'enfin ... vous en connaissez vous qui ont fait des choses remarquables ?
- Vous rigolez ?
- Alors ???
- Vous aimez la musique classique non ? Tchaikovsky ça s'écoute non ? Pourtant il était notoirement homosexuel et slave comme votre père dites donc.
- [il marmonne]
- De Vinci, c'est tout pourri ce qu'il a fait ? Allons, soyons sérieux. J'ai une haute opinion de vous pour vous permettre de vous vautrer dans de telles errements qui ne sont même pas dignes d'une fin de repas de chasseurs.
Il ne me tînt pas rigueur de ce recadrage mais il essaya quelques fois de remettre le sujet sur la table ... en vain.

Tto, qui a aussi connu ça plusieurs autres fois