"Élections, pièges à cons" n'aura jamais autant bien collé à la situation qu'en ce matin de mars 2017, ce matin où je peine à me départir de la colère ressentie à l'endroit de celles et ceux qui jouent à déposséder le peuple, dont ils se réclament pourtant, de l'enjeu électoral prochain. Qu'on ne s'y trompe pas, la situation est très grave et alors que je ne me faisais déjà plus beaucoup d'illusions, je sombre chaque jour davantage dans l'abîme désespérée d'un effondrement démocratique programmé parce qu'inéluctable, sacrifié qu'il est sur l'autel des intérêts particuliers et des vérités alternatives.
Pendant des mois et des années, on nous a servi du "Les Français veulent du changement", "le duel Hollande / Sarkozy serait probablement ce qu'il y a de pire à proposer" ... force est de constater qu'il ne faut jamais désespérer : on peut toujours aller plus loin, on ne s'en prive pas du reste.
Déjà, on va s'envoyer 11 candidats ... 11 candidats, franchement, ça rime à quoi ? Alors oui, j'entends déjà les uns et les autres m'expliquer que la démocratie doit autoriser les vocations spontanées et favoriser les destins présidentiels. N'empêche ... entre un casting de "The Voice" et la ligne de départ ainsi solennellement arrêtée par Laurent Fabius samedi dernier, où est la différence ? Qu'est ce qui distingue désormais l'élection présidentielle, mère de toutes les batailles électorales, d'un concours de beauté où chacun se pique d'aller se rassurer sur le fait qu'il en a une plus grosse que l'autre ou que son teint sied si bien aux projecteurs contraints de devoir les illuminer pour des raisons d'égalité ? Rien ... oui, je le pense : sur les 11 candidats, cinq sont parfaitement superfétatoires, inutiles sinon dispensables. Que Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou s'érigent en chantres d'un retour de la dictature du prolétariat aussi illusoire que le fait qu'ils réuniront les 5% des suffrages nécessaires pour rembourser leurs frais de campagne, c'est au delà du consternant d'autant que leurs idées sont très largement déjà représentées par Jean-Luc Mélenchon. Asselineau et Cheminade rejoignent Jean Lassalle dans cette cohorte lugubre où se massent des candidats dont le programme n'existe pas mais qui tentent de se faire un nom pour thésauriser ensuite dessus, en bons boutiquiers à courtes vues. L'effet est désastreux et cette figure imposée du "petit candidat" ne m'a jamais amusée alors que tant de gens rigolent encore d'Arlette Laguiller ou d'Antoine Waechter. A l'instar de Christiane Taubira en 2002, ces gens là faussent le scrutin non par leur participation légitime mais par la dissipation et l'impossibilité de tenir un débat profond sur les orientations nécessaires à définir au moyen de cette élection. Clairement, j'exècre les petits candidats, ils ne servent à rien et aident les électeurs à ne pas choisir pour ensuite avoir beau jeu d'expliquer qu'on ne les écoute pas assez ...
Une élection comme celle de cette année, c'est aussi la licence offerte à une mouche à projecteur comme Nicolas Dupont-Aignan d'exister ... celui qui buzze parce qu'il a compris qu'il était vain d'essayer de débattre [vu l'inanité de son programme et le côté Canada Dry d'un nationalisme mal assumé], qui se courrouce parce qu'il n'est pas invité à débattre alors qu'il préfère jouer les guignols chez Cyril Hanouna, qui clashe les journalistes pour le plaisir parce qu'il sait qu'il aura droit à une centaine de tweets ... Oui, l'élection présidentielle est une foire au jambon où les batteleurs comme Dupont-Aignan font florès, se jouent d'un système qui les nourrit mais qu'ils dénoncent avec zèle et ingratitude. Le seul but de Dupont-Aignan ? Faire prospérer une arrière-boutique brune où on lave un peut mieux les idées nauséabondes d'une extrême-droite qui ne s'assume plus. Quant aux arrangements avec la vérité, tu repasseras pour éviter qu'il n'en soit plus question, on n'est pas là pour débattre, juste pour s'ébattre.
Dans une telle ambiance, le Parti Socialiste a marketé sa primaire comme celle de la "Belle Alliance", on se demande bien encore ce qu'il en reste tant la bataille d'égo s'est résumée à désagréger ce qui pouvait encore l'être. Benoît Hamon, chantre des frondeurs qui ont enfin réussi à se trouver un porte-étandard après quatre années de maugréages, fait pâle figure et finalement ce qu'il peut, tout le monde a bien compris que son sujet n'est pas d'être élu mais de conserver la main sur le parti au lendemain du 23 avril 2017. Alors oui, on agite les idéaux frénétiquement sans aucune retenue, on lance des idées aussi ahurissantes que populistes, on en vient même à croire qu'on peut faire d'un patchwork informe un programme cohérent qui ressemble tout de même bizarrement à un empilement clientèliste de mesures non coordonnées ni réfléchies voire, pour certaines, très dangereuses. Là dessus, l'homme a compris qu'il n'avait pour seul devoir que d'incarner, incarner pour exister, incarner pour occuper le terrain pusique la relève des quinquagénaires socialistes est décimée. Valls attend que le score soit en deça des 15% pour revenir dans l'arène, Montebourg est démonétisé. Les rougeots Filloche et autres frondeurs ont bien compris que jouer les enfants terribles pendant cinq ans les a précipités dans le fossé d'où François Hollande ne les rejoindra pas, ayant préféré se retirer à temps pour ne pas leur offrir sa tête. En comparaison de la situation du PS en 1995 au crépuscule Mitterrandien, l'avenir est sombre même s'il est évident que le parti n'implosera pas, tout le monde a tellement intérêt à ce qu'il survive ... comme ces mariages auxquels plus personne ne croit mais qu'on continue de faire vivre pour éviter de voir la réalité en face et parce que c'est confortable. Que Filippeti, Guedj et Cambadélis continuent leurs numéros sententieux et satisfaits en ralliant Hidalgo et Taubira intronisées consciences de gauche [on croit rêver], ils ne font qu'être les meilleurs fossoyeurs des intérêts de ceux qu'ils croient défendre et dont ils foulent aux pieds les idées.
Évidemment, à côté, Jean-Luc Mélenchon pétri de ses ambitions nombrilistes et de ses délires hallucinés passe pour un homme de conviction. Alors oui, il ne promet pas le grand soir, s'amuse à jouer les De Gaulle de circonstance pour faire une nouvelle constitution [comme si c'était la priorité ...], pourfend les puissants d'un système dont il est évidemment un engrenage qui vit bien, mais force est de constater qu'il se porte bien. Il joue les grands sages, les Jaurès low-cost qui en appelle aux consciences à un moment où les circonstances sont graves, dramatise son discours face aux périls nombreux qui apparaissent un peu partout, feint de trouver des solutions qui n'existent pas, inonde les interviews de postures et de phrases toutes faites mais voilà, même si je récuse tout son programme et si sa conversion écologique est soudainement intéressée, il a le mérite de la constance. C'est finalement assez rare ... hélas : voilà où l'on en est, le niveau est tel qu'il faut porter au pinacle Mélenchon malgré les horreurs et les contre-vérités qu'il profère. Mais il va finir par passer devant Hamon et ça, c'est politiquement très intéressant.
S'il faut reconnaître une qualité à François Fillon, c'est bien celle de ringardiser tous les scénaristes de politique fiction, de séries conspirationnistes ou même les esprits les plus fous expliquant qu'on n'imagine pas tout ce qui se passe. Voilà un homme qui, après avoir réussi à faire perdre à son parti sa propre élection interne en 2012, va réussir à perdre l'élection présidentielle qu'il ne pouvait pas perdre, qui était même gagnée d'office après le succès évident de la Primaire de droite de novembre. A force de mensonges, après avoir montré la pire des rigidités, avoir épuisé toute la patience possible, multiplié tous les faux-pas, fait toutes les erreurs envisageables, renié toute la ligne de son positionnement et témoigné d'une obstination qui confine au déni, le pilote continue d'appuyer sur le champignon d'un véhicule déjà en surchauffe qui file tout droit dans le mur, les dégâts seront immenses. L'intégrité est pulvérisée, la cupidité est avérée, la fidélité aux mots est massacrée et surtout la parole est totalement démonétisée. Que ne ferait-il pas mieux de se souvenir des grandes leçons de présidentialité qu'il donnait à François Hollande à l'occasion de la sortie du livre "Un Président ne devrait pas dire ça ..." pour n'en appliquer déjà qu'un quart, ça nous irait bien ! François Fillon est un miraculé mais il faut voir dans quel état se trouve le malade : il creuse le lit du Front National, excite les thématiques conservatrices qui préparent les esprits, joue les fantassins d'un rejet massif et définitif d'une classe politique que plus personne ne peut plus souffrir. La déconnexion est totale et, si par impossible il parvient à être élu, il ne pourra gouverner tant sa majorité est hypothétique, sa parole inaudible et son programme inapplicable en considération de lui-même. François Fillon est son propre gâchis, il est un naufrage obstiné qui veut croire que le bateau submergé aux trois quarts peut encore rallier l'autre côté de l'Atlantique ... on parle maintenant de faux et usages de faux, ou d'escroquerie aggravée !!! Tout est personnel chez ce cardinal qui ne se résout pas à faire le deuil d'une élection gagnée d'avance qu'il a perdu tout seul.
Face à cela, nous nous acheminons gentiment mais doucement vers un second tour où seraient qualifiés deux représentants de forces politiques qui ne sont pas ou peu représentées au Parlement depuis 70 ans ! La faillite du système bipolaire français est totale. Voilà donc une élection où Marine Le Pen et Emmanuel Macron n'ont pas de mal à jouer le renouvellement. Sortir les sortants, c'est bien le mot d'ordre et rien ne semble pouvoir dévier l'électeur de cela. Marine Le Pen hystérise tout en plaçant quelques pierres apaisantes dans un programme javélisé, Emmanuel Macron tente de fédérer la social démocratie libérale modérée que Giscard avait dynamitée en 1981. Dans plus de 30 jours, le premier tour de l'élection présidentielle n'aura pas été ce qu'il aurait dû être parce qu'en fait, il n'aura servi qu'à jouer le tour de chauffe des futures élections législatives. Finalement, l'élection présidentielle en 2017 ne se jouera qu'à un seul tour, par la grâce des primaires qui définitivement auront achevé la Vème République tant dans leur mécanisme que leurs conséquences. Ne seraient qualifiés que ceux qui se sont soustraits aux primaires ...
Macron traîne le doute, Marine Le Pen déclare vouloir s'affranchir de l'état de droit en ne répondant pas aux convocations de juges ! Aucun des deux ne peut expliquer qu'il est providentiel, aucun des deux n'appliquera son programme puisqu'il est inapplicable pour Le Pen et parce qu'il faudra rassembler pour Macron. Aucun des deux ne pourra se prévaloir d'une expérience du pouvoir qui rassure à la lueur des enjeux auxquels le pays sera confronté. Aucun des deux n'aura de majorité parlementaire, le condamnant dès lors à devoir composer comme on aimait tant le faire sous la IVème République. Aucun des deux ne suscite l'adhésion, les intentions de vote les concernant traduisant surtout le fait qu'ils sont ceux que l'on n'a pas vraiment essayé. Le rejet est donc total ...
Oui, lecteur électeur, on va voter pour une élection qui n'est pas celle que nous méritons, une élection où la chronique des affaires est un feuilleton dont s'amusent les éditorialistes alors que le ressentiment gronde, une élection où même les plus motivés et civiquement investis se demandent bien ce qu'ils vont pouvoir voter dans un tel paysage. La débâcle est absolue et l'on regrette déjà la bonhomie d'un François Hollande rassembleur même s'il était un peu trop mou aux yeux de certains. Oui, cette élection est un piège à cons parce qu'il n'en ressortira rien de bon, quelle qu'en soit l'issue. Rien ne permettra de purger la fièvre du corps électoral, chauffé à blanc par les scandales qui touchent même le parti qui, naguère, se targuait d'avoir la tête haute et les mains propres ! On s'achemine doucement mais sûrement vers un 2002 au carré avec l'élimination au premier tour des deux blocs de gouvernement de la Vème République, avec un parti nationaliste autour de 30% au premier tour, avec un candidat alternatif de moins de 40 ans qui sera prisonnier d'une synthèse qui a déjà fait tant de mal lors du quinquennat précédent.
A bien y regarder, François Hollande n'était vraiment pas si mal, c'est juste que le bilan ne s'est apprécié que trop tard.
J'espère que la France évitera le délire populiste permettant à Marine Le Pen d'accéder à la présidence de la République, j'espère qu'Emmanuel Macron va l'emporter et qu'il va redonner cet air qu'il promet.
Cette campagne est folle, c'est un mauvais feuilleton qui me sidère chaque jour davantage et, comme pour la campagne américaine, je me dis qu'il serait grand temps qu'il s'achève : tout cela n'a que trop duré et ne sert finalement à rien d'autre que de fracturer ce qui ne l'était pas déjà. Oui, les lendemains seront ténébreux : les pourfendeurs de Hollande auront leur immense part de responsabilité, les alternatives décevantes également. La France ne méritait pas cela, l'embuscade pourrait bien être calamiteuse.
Tto, qui refuse d'écrire trop sur cette campagne qui le dégoûte