C'est finalement le même sentiment ... à quelques mois d'écart, je me souviens avoir ressenti de la peine à regarder la campagne présidentielle américaine en me disant que définitivement, cette affaire durait bien trop longtemps pour que l'on n'en sorte pas abîmés durablement, fracturés comme peu l'être la société américaine. De la peine ? Non finalement, pas de la peine : de la souffrance.
Curieuse ironie de l'époque, je suis à peu près dans le même état aujourd'hui quand je regarde cette campagne présidentielle qui s'étire sous mes yeux, avec tout ce que je ne voulais pas y voir étaler, tout le dégoût qu'elle m'inspire et toute la déraison qu'elle charrie. Ah ça oui, si l'on avait voulu dégoûter définitivement les gens de la chose, on ne s'y serait pas pris autrement.
Bien inspiré a été le chef de l'Etat de ne pas aller dans un tel marais, d'avoir claqué la porte à ces excités du bocal qui croient utile et judicieux de nourrir des rumeurs soi-disant infamantes alors que l'infamie est définitivement de faire ce que l'on dénonce, sans vergogne ni scrupules.
Voilà donc une campagne qui nous offre, à 52 jours du premier tour de l'élection présidentielle :
- une candidate cernée par les affaires mais qui continue à expliquer qu'elle est anti-système alors qu'elle s'en gave et en use pour ne surtout pas rendre les comptes qu'elle exige de ses rivaux,
- un candidat dont la défense calamiteuse et l'aveuglement sonnent comme le chant du cygne ou comme ces poulets à qui la tête a été coupée et qui continuent de courir à cause des nerfs qui remuent encore mécaniquement,
- un candidat qui louvoie dans une imprécision organisée pour éviter de faire campagne sur des idées mais davantage sur une impression, quitte à en rajouter sur l'évanescence des choses,
- un candidat qui emmène son parti à la dislocation assurée en prenant des positions dogmatiques ahurissantes qui le disputent au populisme archaïque, mais il parait qu'il est moderne puisqu'il réveille les idéaux de gauche [tout en amenant son camp à renoncer à des principes européens ancestraux],
- un candidat vociférateur qui passe son temps à flatter son nombril en prenant les estrades de ses meetings pour des scènes de stand-up, tout en renonçant à ses propres déclarations et en se bunkerisant pour amener le pays dans le fossé ...
Je préfère passer sous silence les petits candidats dont l'irresponsabilité est encore pire. Mais rien que ça, les auteurs du "Bébête Show" n'aurait pas osé en faire autant qu'on aurait déjà hurlé à l'outrance et à la caricature. Alors oui, j'écris peu sur cette campagne parce que je dois bien te l'avouer, elle ne m'intéresse pas. Elle remue tout ce que j'exècre, elle donne une bonne leçon aux frondeurs qui subissent aujourd'hui [et c'est bien fait pour leur gueule] leur propre fronde, elle légitime Marine Le Pen comme une alternative solide désormais alors que tous ont juré jadis se défendre de favoriser ses funestes ambitions, elle offre un spectacle affligeant en mettant en scène une télé-réalité judiciaire de laquelle il ressortira que le respect lié à la fonction pour laquelle ils concourent tous est anéanti, elle me fait mal cette campagne.
Elle me conforte dans l'idée que ce pays n'est plus en mesure d'accepter une réalité, n'est plus en mesure d'entendre quelque chose qui ne soit pas de nature à brosser les gens dans le sens du poil, n'est pas digne des idéaux démocratique qu'il porte encore. Cette campagne est un naufrage, François Fillon est un fascinant capitaine du Titanic qui prend toutes les décisions les plus mauvaises en feignant de nous expliquer, passagers du bateau qui coule déjà, que rien ne le fera dévier de son cap. Marine Le Pen tient déjà la hache qui va accélérer la submersion, Benoît Hamon vend qu'il existe un bateau juste à côté qui offrira davantage de place à chacun alors qu'il n'a rien pour l'atteindre et Mélenchon s'égosille à dire que les matelots de l'équipage sont des pourris sans vraiment proposer autre chose de réaliste. Reste Macron ... bah oui, Macron qui essaye d'éviter les embûches et semble être du bois de ceux qui pourraient aider à rétablir un tant soit peu la situation. Ah ça oui, elle est belle la panoplie, surtout quand tu sais que Fillon va bientôt tomber, qu'Hamon et Mélenchon vont s'étrangler pour en finir plus vite et que finalement Macron et Le Pen jouent des chevilles pour arriver sur un canot de sauvetage les moins cabossés possibles.
Les Républicains avaient déjà gagné l'élection ... ils vont la perdre. Ce matin, en apprenant qu'il renonçait à aller au Salon de l'Agriculture [seul gage apparent de ce que sa campagne continuait malgré tout], j'ai eu cette réaction immédiate, irréfléchie mais dont je pense qu'elle sera la bonne. Parfois, j'ai des intuitions définitives comme ça ... en 2010, j'étais persuadé que François Hollande serait élu en 2012 ... Là, je pense que c'est la fin pour Fillon, c'est fini, plié, mort, ... terminé. Avec, en plus, une mise en examen dans 15 jours alors que la date limite du dépôt des candidatures aura lieu deux jours plus tard, François Fillon donnera aux français la démonstration pathétique qu'il n'est même pas fichu de tenir un engagement qu'il aura pris seul devant eux lors de son intervention du 26 janvier 2017 sur TF1. Comment veux-tu qu'il soit ensuite en mesure de demander des efforts ou d'invoquer la moindre autorité dans la gestion des affaires de l'Etat ? Comment entendre les réquisitoires du même François Fillon, décidément velléitaire et inepte, sur la dignité de l'exercice de la Présidence de la République lorsqu'il évoquait le livre "Un Président ne devrait pas dire ça" alors qu'il est incapable de contrer une telle affaire ou de renoncer ? Comment pourrait-il assumer la charge d'une fonction si lourde alors qu'il a agi avec tant de légèreté et en affichant autant de mépris conjugué à une telle déconnexion avec la vie de ceux qui sont censés l'élire ?
Face à cela, les pourfendeurs de François Hollande qui raillaient l'impréparation du Président, ses inaptitudes proclamées voire ses ambitions personnelles [dont on voit bien ce qu'elles sont] ont gagné le chaos dont ils ont semé les graines. Oui, pour une fois, je rejoins Christine Angot [c'est dire si cela va mal] : on ne peut que regretter de n'avoir pas à choisir de voter pour François Hollande. On ne peut que regretter de ne pas discuter du fond des idées alors que les journalistes passent un temps infini et complaisant à se branler en direct en blablatant au sujet de Fillon. On ne peut que regretter que personne n'ait ce qu'il faut là où il faut pour évacuer François Fillon qui emmène tout son camp par le fond. On ne peut que regretter que l'alignement des planètes soit quasi-parfait pour Marine Le Pen, difficile que cela puisse être meilleur à l'avenir. On ne peut que regretter cette campagne ...
Nous sommes un peu le 14 avril 1912, il est bientôt minuit et depuis presque vingt bonnes minutes, le bateau coule sans que ceux qui sont dessus ne réalisent vraiment l'ampleur du désastre. Pourtant, le capitaine Trump a bien montré la voie mais les factieux, trop occupés à jouer d'intelligences avec des puissances étrangères ou obnubilés par un destin personnel auquel ils sont les seuls à croire, regardent ailleurs pensant que les concernant, l'eau ne mouillera pas si par impossible il devait y avoir une catastrophe. Impossible sera peut-être français ...
Tto, sidéré