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une vie de tto
9 octobre 2016

La première fois que je me suis dit "Y a plus le choix là"

La première FOISIl était aux alentours de midi ... en heure locale. J'étais déjà crevé parce que c'était quand même l'aventure de ma vie tout ça. Penses-tu, j'étais parti plus de sept heures auparavant, j'avais à nouveau laissé mes parents comme à la grande époque des colonies de vacances ! Quelle horreur : mes parents n'ont jamais compris que ces trois années de colonies avaient été les pires expériences qui soient pour moi parce qu'elles concentraient tout ce que je détestais. Ah oui, on n'avait plus les parents sur le dos, on pouvait se faire des tonnes d'amis, découvrir des choses et faire des conneries ... sauf que moi je n'y voyais qu'un abandon de plusieurs semaines, l'obligation de connaître des gens qu'on n'a pas choisi, dormir avec des garçons dont je détestais le contact et la brutale passion de se jauger les uns et les autres. Tout était horrible en fait : manger en réfectoire, aller sur les plages pour regarder avec jalousie celles et ceux qui y étaient avec leurs parents, croiser des animateurs qui n'avaient pas grand intérêt. J'ai toujours détesté les comparaisons et là, c'était le festival des évaluations croisées. Autant dire que je n'avais aucune nostalgie des colonies et que ce départ, seul, pour l'inconnu n'était pas pour me réjouir.

Sauf que mes parents en avaient encore décidé autrement : pas de doute et quoi qu'il arrive, j'irai pendant un mois aux Etats-Unis. Cela ne pourrait me faire que du bien. Pour autant que je m'en souvienne, je ne crois jamais avoir dit que j'étais d'accord ...

Mais voilà ... il parait qu'à 15 ans, c'est une chance pour laquelle des tonnes de garçons se tueraient pour être à ma place. Quelques jours avant l'inéluctable départ, j'étais à la limite de tomber en larmes pour à peu près tout et n'importe quoi. Et si je devais ne jamais revenir ? Et si cela se passait mal ? Et si je retombais dans l'enfer d'une colonie de vacances dans un pays qui n'est pas le mien avec une langue qui n'était pas non plus la mienne ? Le rouleau compresseur de l'échéance broyait sur son passage toutes mes angoisses en me culpabilisant d'autant plus : mes parents me payaient tout cela et moi je n'étais pas content. Sale ingrat va ...

Lorsque j'ai atterri à New-York, le soleil inondait largement les buildings de Manhattan alors que moi, je commençais déjà à être flingué de fatigue : j'avais très mal dormi, pas du tout dans l'avion dont je m'étais persuadé qu'il s'abîmerait dans l'Atlantique et je me demandais si j'avais bien rempli le formulaire pour passer le contrôle aux frontières. Et puis, si ça se trouve, ils allaient aussi me perdre mes bagages ? Et pourquoi tout le monde était heureux alors que moi j'étais triste à mourir ?

Arrivé à JFK, j'ai suivi ceux que j'avais reconnu être dans le même avion que moi. Je savais que j'avais une correspondance à faire pour prendre un autre avion pour Chicago. Pratique hein ? Déjà que je suis tétanisé mais en plus, il faut jouer les MacGyver de circonstance pour arriver à se débrouiller dans ce bazar. Tout le monde attendait de passer le contrôle aux frontières. C'était facile : il fallait attendre. 
Dans la file d'attente, j'ai entendu quelqu'un qui parlait en français. Un vieux monsieur avec son épouse ... Ils étaient émerveillés que je voyage seul à mon âge et me promettaient tout le bonheur possible alors que moi, je n'avais envie que d'une chose : remonter dans un avion qui me ramène à Paris. J'ai tout de même eu la présence d'esprit de leur demander s'ils savaient où il fallait que j'aille ensuite pour basculer d'un aéroport à un autre, ils m'expliquèrent vaguement ... Qu'importe : au pire, je resterai là pendant un mois !

Lorsque ce fut mon tour, je tremblais autant que quand il fallait que j'aille au tableau pour un exercice de mathématiques auquel, évidemment, je ne comprenais rien et pour lequel je me disqualifiais d'emblée. L'officier de police me faisait signe, j'avançais ... Un gros noir, avec sa chemise bleue comme dans les films ... Pas de doute : j'étais bien à New-York ! Je lui tendais mon passeport flambant neuf, et tous les papiers dont j'avais pu remarquer qu'il fallait les lui donner : l'attente avait du bon !

C'est alors qu'il commença à me parler ... Le bruit environnant et la qualité de mon anglais de collégien ne me laissaient aucune chance. Tout juste, j'ai compris "vacations", mon nom et mon prénom ... Par réflexe, j'ai répondu "Yes", ce qui fit rire grassement l'officier. 
Il prenait son temps, sifflotait et je me revois tout petit en le regardant comme s'il était perché à 3 mètres au dessus de moi. 

Alors, j'ai entendu le tampon se fracasser sur mon passeport. Un large sourire en ma direction accompagna sa main qui me rendait ma précieuse pièce d'identité.
"Oww wevoaaaar" me lança-t-il, fier comme Artaban. Cela me fit décrocher enfin un sourire, le premier sur le continent, le premier depuis longtemps.

J'étais entré aux États-Unis et mon avion m'attendait pour arriver à Chicago. En passant la guérite de ce gentil officier, je me souviens m'être dit que je ne pouvais plus reculer : "Y a plus le choix là ..."
Un soupir est venu de très très loin : c'était parti pour un mois.

J'étais malgré tout fier de moi : j'ai gardé ce passeport, rien que pour ce tampon.

On ne prend jamais vraiment la mesure de ce qui nous semble facile et qui peut être insurmontable pour d'autres. Moi, j'étais pétrifié mais, hagard, je continuais à avancer, comme un zombie perdu dans ce carrefour du monde, dans ce que je trouvais immense et déjà inhumain par sa taille. Ce n'était que le début ...

Tto, tamponné

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