Y a pas à dire : les anglais sont toujours fortiches pour ménager le suspense jusqu'au bout ! Et avec eux, l'afficionado des échéances électorales que je suis se régale !!
Là, ce n'est plus seulement du Premier Ministre dont il s'agit ... l'année dernière, l'écrasante victoire de Cameron avait tellement surpris tout le monde que j'en étais resté scotché à ma vénérable BBC pour essayer de comprendre ce qui se passait sous mes yeux hallucinés. En 1997, j'étais rivé sur SKY NEWS pour assister à l'émergence du phénomène Tony Blair ... et donc forcément ce soir, je vais me farcir tout ce que je peux regarder sur le résultat de ce référendum hasardeux s'il en est.
Parce que bon ... Cameron est un apprenti sorcier qui a dégoupillé une grenade pour remporter les élections de l'année dernière mais ne va-t-elle pas lui péter dans les mains ?
Quand on envisage que l'Europe a trouvé son meilleur défenseur en David Cameron, qui fait tout pour la torpiller depuis qu'il est à Downing Street, ça laisse rêveur et surtout cela permet d'envisager toute l'impasse que la construction technocratique européenne inspire. Forcément, le populiste Boris Johnson n'a pas trop de mal à agiter les spectres qui font en sorte depuis des années que les britanniques adorent détester l'Europe. C'est finalement pratique mais intellectuellement proche de l'imposture parce que l'Europe et la Grande-Bretagne, c'est un "Je t'aime, moi non plus" qui dure depuis 1972 et ce jeu amoureux hésitant n'a franchement pas été au détriment des sujets de sa royale majesté.
Parce que bon ... l'agriculture britannique pompe à elle seule 4 milliards d'euros par an, soit 20 à 40% des ressources des agriculteurs du royaume. En cas de sortie, il est bien évident qu'il va falloir trouver 4 milliards par an qui ne seront plus donnés par l'Europe. Ca fait juste 10.000 exploitations du pays qui seraient menacées ...
Pour d'autres, une sortie de l'Europe se traduirait également par une réduction de 3 points de PIB par habitant d'ici 2030. Au pays de la croissance échevelée, ça fait mal. D'autant que les positions dominantes de la Grande-Bretagne avec ses anciennes colonies en matière de commerce ont cédé le pas et c'est aujourd'hui l'Europe qui commerce davantage avec l'Inde, l'Australie et autres Nouvelle-Zélande. Il manque donc quelques alvéoles au poumon britannique.
Sur le terrain de la monnaie, la Livre est moins forte que l'Euro et ce n'est donc pas sur ce terrain que le salut pourra venir. De même, la forte prise de position de l'establishment financier attaché aux positions de la City peut laisser craindre un rapatriement de sièges sociaux et autres du côté du continent, plombant un peu l'Irlande par ricochet. Ce serait donc l'apocalypse ?
Bien sur que non, mais le coup porté à la construction européenne serait majeur et, finalement, mettrait en évidence le fait que l'Europe ne séduit plus depuis belle lurette. Au final et c'est bien ce qui est le plus troublant à regarder cette campagne électorale, on ne vend aux britanniques que de la peur pour les dissuader de sortir de l'Europe et les chantres du Brexit hystérisent tout en racontant surtout n'importe quoi pour donner une vraisemblance à leurs arguments populistes classiques. Rester en Europe condamnerait ainsi à l'immigration massive européenne, rester en Europe ruine le pays tous les jours, rester en Europe détruit le pays de l'intérieur ... Boris Johnson a même rendu l'Europe responsable du fait qu'on ne peut pas vendre de haggis aux Etats-Unis !!
Cette campagne sera donc celle des excès, jusqu'à ce qu'un axe Trump/Johnson ne se noue ouvertement, les deux s'étant déjà rejoints sur la haine viscérale des élites qu'ils piétinent allègrement en les rendant responsables de tous les maux. C'est d'ailleurs devenu un argument de dernière minute : il faut voter pour le Brexit puisque les puissants sont pour le maintien et que donc c'est contre les intérêts des petits. D'ailleurs, du côté du "remain", on sort tout ce que l'on peut, les stars, les milliardaires et même l'assassinat de la députée Jo Cox pour tenter d'arracher les derniers votes qui feraient la différence. Mais deux sondages de dernière minute pronostiquent encore une victoire des isolationnistes [Ed Milliband, travailliste défait de l'année dernière, sait aussi quelle prudence il faut adopter à cet égard].
Demain soir, je vais donc passer une partie de ma nuit devant la télé et twitter à guetter tout et vivre cette consultation historique. Boris Johnson a, de toutes les façons, déjà gagné la partie : il s'est fait une place sur le plateau de jeu politique national et pourrait précipiter la chute de David Cameron assez rapidement.
Petite curiosité, tous les citoyens majeurs britanniques et irlandais, ou de l’un des 53 pays du Commonwealth, résidents au Royaume-Uni depuis au moins 15 ans vont pouvoir se prononcer ... Donc les Chypriotes et les Maltais sont de la partie aussi !!
Fin du monde ou pas, ouverture d'une crise politique européenne majeure ou confirmation des tendances chez les parieurs qui tablent sur un maintien [oui, c'est un peu l'Eurovision pour eux ...], nous verrons bien cela. Cela va mettre fin néanmoins à un suspense qui dure depuis plus d'un an. Aux britanniques de choisir leur chemin désormais et François Hollande a bien raison d'expliquer que leur choix sera irrévocable : ce référendum n'aurait pas de sens sinon. Mais avec l'Europe, on en sait jamais ...
Tto, ravi de ce suspense mais qui a aussi son avis sur le résultat