Cher Docteur ... J'ai 23 ans et je me pose pas mal de questions. J'ai lu qu'aux States où j'étais le mois dernier y aune nouvelle théorie psy qui déculpabilise les hétéros comme moi de coucher avec d'autres mecs. Mais si on couche avec un autre mec, on devient gay ? Tout n'est pas clair dans ma tête et j'aimerais bien mais je ne suis pas gay. Bref, c'est quoi cette théorie psy ?

Le déterminisme sexuel est vraiment une idée saugrenue sur laquelle je reviens régulièrement à la faveur de vos questions régulièrement et j'espère qu'un jour nous en finirons de cette conception un peu étroite des choses qui créé plus de problèmes et soulève davantage de questions qu'elle n'apporte de réponses.

La fameuse théorie en vogue dont parle ce lecteur est certainement celle de Jane Ward qui a publié en juillet dernier un ouvrage que l'on qualifiera de "déculpabilisateur" sur le fait que des hommes hétérosexuels aient des relations sexuelles avec d'autres hommes ou même entre eux. Evidemment, la notion même de culpabilisation est à évacuer mais elle permet de planter le décor. Jane Ward est professeur associée à l'Université de California-Riverside en sexologie et mène des études sur le féminisme, l'homosexualité et l'hétérosexualité. 

Il n'est pas question ici de juger la pertinence de l'analyse de Jane Ward sur cette question, celle-ci oeuvrant clairement pour que l'étiquette "gay" ne soit pas posée sur le comportement curieux de certains hommes qui décident de coucher avec un autre homme. D'ailleurs, observe-t-elle, on ne pose clairement pas la question ainsi s'agissant de deux femmes pour lesquelles une telle entreprise ne suscite pas les mêmes classifications. Mais Jane Ward profite d'une mode actuelle de certains journalistes qui s'amusent à mettre en lumière le comportement de certains hommes qui s'encanaillent à se tester de la sorte dans des environnement sportifs, militaires ou même sur certains sites où des hommes hétérosexuels en cherchent d'autres pour se masturber, s'introduire des doigts dans l'anus ou encore se retrouver dans les toilettes publiques pour avoir des rapports bucco-génitaux. Dans une Amérique un peu réservée sur la question, elle porte l'attention de son étude sur les hommes blancs hétérosexuels en expliquant que de telles pratiques sont des tests mais renforcent finalement l'hétérosexualité des hommes en question.

Toute criticable que soit son analyse parce que centrée sur l'homme blanc américain et conduite avec le prisme d'une sexualité américaine ultra normée par la réligion, Jane Ward explique néanmoins que la parole autour de ces comportements est plus libre aujourd'hui du fait de la normalisation de l'homosexualité dans le monde, le mariage aidant certainement de mon point de vue au même titre que la génération dite Y est plus habituée à la question. Ward y voit le fait que cela illustre toute la complexité et la fluidité de la sexualité humaine, ce sur quoi elle a profondément raison. En fin de compte, l'analyse de Ward propose une nouvelle façon de penser l'hétérosexualité non pas comme le contraire ou l'absence de l'homosexualité, mais comme son propre mode unique de s'engager dans le sexe homosexuel sans entendre que cela ne constitue une bascule. Mais alors que faut-il en penser ?

Si l'on peut être en total désaccord avec certains postulats de Jane Ward, il n'en demeure pas moins vrai qu'elle a raison de considérer que les comportements homosexuels entre hétérosexuels font l'objet d'une parole plus décomplexée. La curiosité du sexe homosexuel chez certains hétérosexuels, comme notre lecteur, n'emporte pas nécessairement traduction irréfragable du fait qu'un homme deviendrait homosexuel. La question du déterminisme sexuel est déjà, en elle-même, suffisamment à l'origine de contestations de toutes parts qu'il est plus raisonnable de considérer que l'on ne devient pas nécessairement homosexuel ou hétérosexuel mais que cette construction se fait au regard d'une éducation, d'un environnement social et d'une sensibilité. La conjonction de ces facteurs étant susceptible de varier en fonction de l'évolution de l'un ou plusieurs de ces facteurs, rien n'autorise à nier que le comportement sexuel d'un individu ne pourrait varier d'une hétérosexualité vers une homosexualité et inversement. C'est alors que la théorie de l'échelle de Klein raccomode tout cela en expliquant, comme Freud, que tout le monde est bisexuel mais que chacun tend vers soit l'homosexualité à 100% soit l'hétérosexualité à 100%. Klein explique que seul 10% de la population est strictement hétérosexuel ou homosexuel.
Je propose d'ailleurs à mon interpellateur ainsi qu'à tous les lecteurs de faire le test de l'échelle de Klein : il se trouve ici.

Donc pour répondre clairement, avoir un contact sexuel avec une personne du même sexe ne fait pas de cette personne un(e) homosexuel(le). La répétition des pratiques conjuguée au désir plus ou moins exclusif pourra permettre, à terme et moyennant d'autres facteurs comme la fantasme ou l'attirance, de considérer que quelqu'un est probablement moins hétérosexuel et davantage homosexuel ... et inversement parce que l'on oublie, là aussi, souvent de rappeler que des hommes n'ayant eu des relations qu'avec d'autres hommes s'épanouissent parfois dans une relation hétérosexuelle.

Seul le cloisonnement lié à une appartenance sociale ou aux préceptes d'une religion ou d'une croyance est impropre au sujet parce qu'il méconnaît la nature même du désir sexuel, qui consiste à évoluer et ne pas nécessairement se focaliser sur les mêmes facteurs tout au long de la vie. C'est ainsi qu'on explique que nombre d'adolescents essayent d'avoir une relation homosexuelle pour "essayer" à la sortie de la puberté sans que cela ne fasse d'eux des homosexuels refoulés tout au long de leur vie. Beaucoup d'homosexuels ont tenté de coucher avec une femme sans que cela ne fasse d'eux des hétérosexuels refoulés également ... Tout est trop complexe pour pouvoir être réduit à une seule étiquette.