Atrabilarité ou atrabinarité ?
Samedi soir il y a 10 jours, j'étais à Enghein-les-Bains pour aller voir le nouveau concert d'Amel Bent. Zolimari est hyper fan du nouvel album [duquel il ne faut objectivement retenir que 3 ou 4 chansons qui valent le coup objectivement]. Mais voila, le traumatisme de l'Olympia loupé l'année dernière faisait en sorte qu'il était prévu depuis belle lurette que nous devions aller la voir.
Et là, samedi soir dernier... avant que de m'énerver devant ma télé à écouter Eric Zemmour chez Ruquier, j'ai été abattu par autre chose ... confirmant clairement ce que je pense depuis longtemps sur la démocratisation de la culture.
Ok ... culture est, pour certains, un bien grand mot surtout s'agissant d'une chanteuse issue d'une émission de télé-crochet et qui fait du r'n'b français en ayant cherché sa ligne pendant de nombreuses années. Là n'est finalement pas le sujet parce que je mets dans la culture tout ce qui permet aux gens de sortir de chez eux et d'aller voir un(e) artiste dans une salle ou un endroit qui n'est justement pas leur restaurant favori ou leur salon sur lequel ils règnent en maîtres. Je persiste à penser que la culture au sens très large du terme est exactement ce qui enseigne beaucoup sur une société, une civilisation, un régime politique quel qu'il soit. Mais revenons à Amel Bent ...
Ce n'est pas le concert qui m'a exaspéré, ce n'est pas le son assez moyen mais convenable, ce n'est pas le fait de me traîner dans un casino qui programme des artistes qui pourraient passer ailleurs ... non, ce qui m'a presque tué c'est le public d'Enghein-les-Bains. Ce qui m'a atterré, c'est la médiocrité nivelante de ces gens dont je suis si éloigné [ce qui, de façon très présomptueuse, me rassure à un point que tu n'imagines pas]. Ce qui m'a ahuri, ce sont les comportements que l'on rencontre aujourd'hui en 2014 en France s'agissant d'une manifestation culturelle. Déjà que j'ai l'image d'un garçon d'un snobisme irrespirable, mais là ... si cette posture prononcée chez moi t'exaspère, il vaudrait probablement mieux que tu évites de lire la suite si tu envisages de continuer à nouer avec moi une certaine complicité. J'aurai prévenu ...
Des salles populaires, j'en ai fait, j'en ferai encore [mais pas forcément avec la même décontraction] et je ne crois pas que ce soit la question qui se pose là. Tout le monde est légitime à se rendre à un spectacle qu'il s'agisse d'opéra, de rap, de techno, de théâtre vaseux ou de peinture abstraite. Mon jugement n'est pas là et la démocratisation de la culture n'est pas en question à ce niveau. Non ... samedi soir, je me suis demandé ce que certains faisaient là, quelles étaient leurs démarches s'agissant d'un concert pour lequel ils ont payé plus de 35€ la place.
On a pratiquement tout eu :
- une adolescente à côté qui a passé son temps à se tortiller pour filmer tout le concert dont elle n'a, pour ainsi dire, pas vraiment profité puisqu'elle n'a cessé de regarder l'écran de son Samsung tout pourri dont la luminosité a également du faire des ravages sur sa vision [et accessoirement nous a gêné]. Vautrée sur la rambarde, elle a filmé sans jamais cadrer [oui parce qu'au bout d'un moment, tu essayes de comprendre ce qu'elle filme], parlé [de sorte qu'elle s'entendra avec la musique], s'est prise en photo avec flash avec la scène en arrière plan [en faisant une tête de poisson mort parce que l'ado ne doit pas sourire sinon il meurt instantanément], a tenté d'envoyer des textos à une amie qui se trouvait dans la salle manifestement [oui mais les Samsung, ça reste des Samsung hein ...] ... Debout du début à la fin, elle a manifestement empêché Zolimari de profiter vraiment de son champ de vision ...
- une vingtaine de mômes a joué à je ne sais quel jeu dans les travées vides de la corbeille [oui parce que la salle était loin d'être pleine] comme s'ils étaient dans un anniversaire Ronald Mc Donald ou un magasin de bricolage ... On se jette par terre, on crie un peu de temps en temps, on se jette sur les fauteuils comme si on était à la maison parce que finalement ... on s'en fout, on est partout chez nous et comme les parents s'en battent les couilles, tout est permis !
- une demeurée a cru nécessaire d'apostropher la chanteuse à chaque tentative de dialogue avec la salle, au prix de remarques navrantes du genre "Allez ouais, tu chantes là !" ou autres "J'vais chanter avec toi moi" témoignant du prix Nobel que nous avions déniché. Par la suite, elle a dansé n'importe comment [on plaint ceux qui étaient derrière mais aussi le mari, tout aussi beauf et grassement populacier ... moi je demande le divorce immédiatement] et n'a pas manqué de se faire remarquer à chaque silence durant le concert
- une gamine a pleuré pendant cinq bonnes minutes pour des raisons dont tu comprendras qu'elles m'échappent totalement ... mais crois-tu que les parents ont bougé ou l'ont fait sortir ? Bien sur que non, on la laisse pleurer et quand elle devient trop chiante, on lui gueule dessus aussi [ce qui mécaniquement la fait chouiner encore davantage] mais on ne bouge pas hein ...
- une ribambelle de connards ont gueulé parce qu'ils avaient des mauvaises places et tu comprends, "on a des enfants qui vont rien voir" ! C'est la vie ma pauv' Lucette
- des flashs pour les photos à n'en plus finir alors que les gens sont incroyablement stupides puisque dans une salle de concert, le flash ne servira seulement qu'à éclairer le siège de devant puisqu'avec le matos qu'il y a sur scène, tu imagines bien que tu ne feras pas mieux ... Mais Jennifer elle s'en fout, elle flashe à tout va ! Un gars excédé a eu beau lui dire que c'était un peu casse-couilles, elle s'en bat l'oeil, elle continue !
- ma star, ça a été l'attardée championne de l'univers qui, comme nombre d'autres, a filmé pratiquement tout le concert [mais achète toi le DVD et reste dans ton salon miteux connasse !!!!] mais, elle coupait avant la fin de la chanson, réécoutait tout fort ce qu'elle venait d'enregistrer ce qui est assez fantastique quand les applaudissements cessent un peu de couvrir ...
Je sais ... tu vas encore dire que j'exagère tout et qu'en vrai cela n'existe pas. Sauf que oui, ça existe et je l'ai vécu.
En revenant, Zolimari est revenu sur tout ça en me disant que finalement, Amel Bent traînait un public de merde, criblé de beauffitude, et profondément insupportable. Oui bien sur mais pas seulement ...
C'est là que je lui ai dit que moi, j'en ai marre de cette démocratisation de la culture, transformant tout en produit industriel que Carrefour peut solder à l'envie comme on expédie des courgettes ou des grille-pains. J'en ai assez de cette illusion qui fait qu'on nivelle par le bas en faisant en sorte que les boeufs viennent ternir la démarche d'une artiste quelle qu'elle soit. C'est l'échec de la démarche initiée dans les années 60 qui consistait à ouvrir les théâtres, les cinémas, les musées ou que sais-je encore. Oui je pense qu'une partie de la population est trop limitée pour en profiter, en sorte que cela gène ceux qui s'inscrivent dans une démarche respectueuse des autres et des artistes. Ah oui, je segmente à fond mais je pense que samedi soir, j'ai vécu l'échec flagrant de la démocratisation du spectacle vivant, de l'ouverture à tous de la démarche artistique.
Je préfère payer 100€ mes places au Théâtre du Châtelet mais je ne subirai les mêmes comportements. Je préfère rester dans Paris parce qu'au moins, les prix, lieux, et sujets seront autant de filtres qui empêcheront que je me retrouve confronté à ceux qui me sont si étrangers dans leur façon d'être [mais ça encore ...] mais aussi et surtout dans leur démarche. Et en définitive, ce que je disais samedi soir, c'est qu'inconsciemment, c'est déjà ce que nous faisons puisque nous n'allons plus voir les block-busters autrement qu'en 2D et en VO pour éviter les racailles qui pourrissent les séances de cinéma en se comportant comme dans leur salon, nous allons beaucoup moins dans des concerts pour éviter de nous prendre la forêt d'écrans de portables qu'on nous inflige tout le temps, nous évitions les grosses affiches bien marketées avec les partenariats RTL, NRJ et TF1 qui sont toujours le gage d'un filet dérivant ramassant tout sur son passage ...
C'est élitiste oui, c'est segmentant oui, c'est désolant probablement ... mais c'est ça 2014.
Dans cette salle, je me disais que j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont éduqué avec le dogme de ne pas déranger les autres, d'être respectueux et de savoir rester à ma place. Aujourd'hui, nous avons basculé dans l'hyper individualisme ... Zemmour disait finalement la même chose quelques heures plus tard chez Ruquier et l'on ne peut que partager ce triste constat. Là dessus oui, Eric Zemmour a raison ; je conteste simplement les conclusions qu'il en tire et la causalité qu'il invente pour expliquer ce constat qui, hélas, est le bon.
Tto, qui ne retournera pas à Enghein-les-Bains de sitôt