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une vie de tto
12 mai 2014

Toujours plus loin avec Manu

Plus loin avec ManuPremière partie de l'interview : ici
Deuxième partie de  l'interview : ici

Tout le monde prend Jean Jaurès à témoin aujourd’hui, certainement à raison du centenaire de son assassinat. Tu en penses quoi ?

Jean Jaurès est LE héros / héraut de toute la gauche, car c’est le Républicain par essence. Il a incarné la pensée socialiste pendant des années. Plus que Guesde par exemple, qui était plus révolutionnaire que réformiste. Son assassinat en a fait un mythe. A l’occasion du centenaire de sa mort, et dans un contexte d’interrogations idéologiques profondes, il est normal que nombre de politiques essayent d’en appeler à lui. Car il représente LA référence majeure, avec Léon Blum, Pierre Mendès-France (pour certains courants)… Et car ses écrits sont passionnants et ont profondément marqué l’imaginaire collectif. Maintenant sa pensée est à interroger, alors que nous sommes dans un contexte largement différent de celui de la France pré-20e siècle. Il le dit d’ailleurs lui-même dans son célèbre discours à la jeunesse en 1903 : « le courage c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Cette phrase marque ce que la plupart des socialistes pensent : nous avons un idéal, d’une société plus égalitaire, fraternelle, ouverte au monde, fière de ses valeurs de partage, mais il faut adapter notre action au réel, pour transformer les choses en profondeur. Ce n’est pas « du passé faisons table rase ».

Quand on envisage aujourd’hui que le vote ouvrier ou populaire se dirige majoritairement vers le Front National, est-ce qu’il n’y a pas un problème profond du Parti Socialiste avec sa base électorale traditionnelle ? Si oui, comment combler ce fossé ? Si non, qui d’autre que le Front National devrait réunir le vote des classes populaires ?

Le Parti socialiste est historiquement un parti de classes moyennes. Avec tout le flou de la définition des classes moyennes. Et bien entendu, nombre des membres des classes moyennes s’éloignent du PS car il répond mal à leurs attentes, qu’il semble agir trop en faveur des classes supérieures (avec tout le flou que cela peut également avoir dans la définition de celles-ci pour tout un chacun).

Le Parti socialiste a surtout un gros problème : il ne représente plus l’espoir d’un vrai changement de société, attendu par l’électorat de gauche. Et il est certain que certains choix politiques actuels interrogent quant à la possibilité pour le PS d’incarner de nouveau cet espoir.

D’autant que, souvent donneur de leçons morales, le PS est lui aussi touché par des scandales, dévastateurs en termes d’image (Cahuzac, Morelle, etc.). La structure sociale des membres de ses instances nationales (peu d’ouvriers, d’employés, de cadres moyens, énormément de classes moyennes supérieures, de cadres, de hauts fonctionnaires, etc.) n’aidant d’ailleurs pas à la compréhension de la base électorale.

Maintenant le PS n’est pas le seul parti de gauche à devoir se réinterroger. Le Parti communiste, qui est LE parti ouvrier et paysan historique, voit son électorat voter de plus en plus massivement FN, car eux non plus n’arrivent plus à leur parler. Et le FN a développé une stratégie populiste bien plus efficace que les grands discours moralisateurs de la gauche de la gauche.

La défiance des Français vis-à-vis de la politique est réelle et aucun parti n’en a une conscience réelle, et pour le vivre de l’intérieur au PS, ne veut aujourd’hui se réinterroger. Ce qui est d’autant plus inquiétant que la victoire des valeurs libérales, voire ultra-libérales depuis plusieurs décennies est claire. L’individualisme, le consumérisme sont ancrés dans les comportements. Les gens ont l’ambition de grimper socialement, voir se voient appartenir à une classe supérieure. Un sondage aux USA il y a pas mal d’années montrait qu’une proportion extrêmement importante des classes moyennes considérait appartenir aux classes supérieures, et donc adoptait certains de ses réflexes de pensées, comme le rejet de l’impôt, de la solidarité, alors même qu’ils en profitaient plus qu’ils n’y contribuaient. Et je pense que la France connaît également le même phénomène, accompagné par une rupture idéologique profonde chez les jeunes générations, très majoritairement libérales (cf les premiers résultats de l’enquête « Génération quoi ?», menée par France Télévision, à laquelle plus de 200 000 jeunes de 18 à 34 ans ont participé).

Justement, tu parles de la jeunesse … domaine que tu connais bien au travers de tes fonctions précédentes. Moi, je crois observer que la jeunesse est aujourd’hui dans un phénomène de radicalisation, aidée probablement par les outils numériques dont tu parlais tout à l’heure qui accélèrent le temps de la décision alors que la politique et des institutions est précisément plus lent. Cette radicalisation qui s’exprime par davantage de libéralisme, ou davantage de socialisme-marxisme pour certains, de populisme nationaliste pour d’autres, davantage de religion ou que sais-je encore. Comment on fait pour canaliser cette jeunesse qui se communautarise ?

Je n’ai pas la réponse, clairement. Elu à la jeunesse, j’ai vu à la fois ce phénomène de déconnexion avec le temps de l’action publique, mais aussi la montagne de difficultés que rencontre chaque jeune, quel que soit son niveau social (même si cela simplifie un peu d’appartenir aux classes supérieures, bien entendu).  L’absence de confiance du monde économique, et plus généralement la société française à leur égard, l’absence de logement abordable, la difficulté à construire une vie familiale qui leur soit propre…  Enfin l’absence de place laissée à la créativité de chacun, à l’épanouissement personnel, et plutôt la glorification des normes et d’un modèle moyen qui ne peut survivre à l’évolution des mœurs à l’échelle mondiale. L’échec de l’école de la République, son ultra-élitisme, son rejet total d’autres formes d’expressions, de valorisation de ceux qui ne sont pas tout à fait dans la norme, sont en partie responsables de cela. Je ne dis pas qu’il ne faut pas une école unique pour tous, loin de là, mais il faut une école souple, qui parvienne à prendre en compte les capacités de chacun et à l’amener là où la société souhaite l’amener, et non le rejeter s’il ne rentre pas dans certaines cases.

La radicalité de la jeunesse a toujours été une réalité. Et heureusement. La question est plutôt ce qui s’exprime derrière cette radicalité. La montée du FN chez les jeunes, ça, ça m’inquiète. Car le FN est tout sauf un parti qui porte la confiance en l’avenir. C’est un parti qui glorifie un passé mythique, qui n’a jamais existé. La montée des religions aussi m’inquiète… Mais ça doit être mon côté radical-socialiste laïcard. La montée du libéralisme, c’est un mouvement de fond, qui traverse la société, voire même le monde dans son ensemble, sans doute du fait de l’échec patenté des idéologies communistes. 

Pour en revenir au PS, est-ce que tu penses, comme certains, que le Parti Socialiste est d’abord un parti de gouvernement local et que lorsqu’il accède aux responsabilités nationales il est voué à échouer et décevoir ?

C’est, avec la division idéologique entre la droite et la gauche du PS, l’autre question qui se pose aux militants, régulièrement. Le PS, comme la SFIO en son temps, a eu tendance à se réfugier dans ses fiefs locaux, ce qui a de nombreux avantages : on mène quand même des belles politiques, on peut agir au quotidien, et on critique le pouvoir national, cause de tous les maux. Mais le PS a aussi vocation à prendre le pouvoir pour mettre en application sa vision de la société et des changements à impulser. La gauche déçoit beaucoup quand elle est au pouvoir national, car son arrivée est souvent synonyme d’un véritable espoir, souvent déçu car les changements, même s’il y en a, ne sont pas suffisants, ou alors sont trop longs pour être vécus au quotidien. Peut-être aussi a-t-elle pu donner l’impression de ne pas mener une politique si différente de la droite (même si je pense sincèrement que ce n’est pas le cas). Enfin peut-être est-elle enfermée dans des schémas de pensées qui l’obligent constamment à vouloir prouver qu’elle est bonne gestionnaire, qu’elle est responsable, qu’elle est légitime (ce qui représente les critiques traditionnelles de la droite, alors qu’elle-même n’a pas prouvé ses capacités de gestion). C’est aussi pour ça que nombre d’élus PS locaux se disent qu’il vaut mieux investir le local, car comme ça on prouvera nos capacités…

Qui a le plus trahi la Gauche : François Mitterrand, Dominique Strauss-Kahn, François Hollande, Jérôme Cahuzac ou Jacques Delors ? Pourquoi ?

Ouh là. Je ne sais pas dire pour Mitterrand. Il a plus incarné la 5e République que la gauche en tant que telle. Strauss-Kahn, je le pense oui.  Par la vision qu’il a donné de la politique, par l’idéologie « fric » qu’il a impulsé chez ses troupes. Cahuzac également, car il a fait valdinguer les valeurs de la République. Delors, je ne sais pas. Quant à Hollande, j’attends de voir ce que son action donnera pour me prononcer. Je suis partagé pour le moment, mais je ne pense pas qu’il trahisse la gauche. Il met en lumière le manque de vision actuelle de toute la gauche sur sa capacité à changer la société.

Mais c’est ça la question : la gauche doit-elle forcément changer la société ?

Bien entendu. C’est son essence même. Si elle perd de vue cet objectif, à quoi sert-elle ?

To be continued

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Commentaires
J
L'école est-elle ultra-élitiste ou est-ce le contraire ? Ultra-élitiste peut-être à Henri IV ou Jeanson-de-Sailly, mais c'est loin d'être le cas partout en France. Paradoxalement, le problème est peut-être inverse, c'est peut-être qu'elle ne l'est plus assez, provoquant par contrecoup une panne de l'ascenseur social en privant des gens d'avoir accès à la culture qui leur permettrait de s'élever dans la société et de leur ouvrir les "bonnes portes".<br /> <br /> Puis est-ce donc si élitiste que cela d'avoir réduit la Première Guerre à la seule bataille de Verdun et au génocide arménien ou la Seconde Guerre à Stalingrad et aux génocides juifs et tsiganes ? J'en doute. Mais peut-on s'élever dans la société avec un si maigre bagage; n'est-ce pas fait, au contraire, pour bloquer toute élévation possible en réservant la culture à une élite ? La question reste posée. <br /> <br /> L'école ne valorise pas ceux qui ne sont pas dans la norme. En fait si, mais comme la plupart des choses concrètes faites sur le terrain ne remontent jamais parce que ça n'est pas dans la "pensée pédagogol" du moment, personne n'en parle. On préfère aujourd'hui les compétences absons, parfois plus stigmatisantes et blessantes que les notes (le contraire de compétent n'est-il pas incompétent, mot d'une violence inouie ?), surtout quand un môme se ramasse des 2 à la pelle, là où il aurait eu 11 ou 12 avec l'ancien système. Qui valorise qui ainsi ?<br /> <br /> Enfin ("une école souple, qui parvienne à prendre en compte les capacités de chacun et à l’amener là où la société souhaite l’amener, et non le rejeter s’il ne rentre pas dans certaines cases"): j'ai bien peur qu'il n'y ait quelque option "déterministe" derrière cette affirmation; puis la société voulant surtout des esclaves sous-payés, l'école doit-elle amener les élèves à être les futurs esclaves que Gattaz appelle de ses voeux ?
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C
Je ne dirai qu'un mot : passionnant :)
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