Devant le peloton d'exécution, du haut de ses vingt ans, il revoit sa vie, si courte, passer ... Il ré-entend les paroles du Général de Gaulle entendue par hasard le 18 juin 1940, ces fameuses paroles qui feront l'Histoire et sur lesquelles il a raconté à tout le monde "ce qu'il disait, c'était ce que je pensais" ... Oui mais voila, s'engager dans la Résistance n'est pas exempt de risques, et nombre de ses compagnons sont déjà morts pour libérer la Patrie occupée, morts pour cet idéal de liberté contre la barbarie. En 1942, il était parti pour Londres, avait atterri en Bretagne, combattu jusqu'en Belgique voire même aux Pays-Bas. C'est d'ailleurs au cours de cette opération Amherst qu'il avait été fait prisonnier en Hollande par les nazis au bout de souffle qui n'avaient plus d'autres états d'âme que de liquider tout ce qui leur tombait sur les bras, à plus forte raison des résistants français.

Oui ... tout cela lui revenait alors qu'il faisait face à ces fusils qui allaient sonner le glas d'une vie de vingt printemps deja bien remplie. Lucien allait succomber, loin des siens, loin de son pays ... plus que quelques secondes à respirer cet air aux senteurs de guerre, cette odeur âcre et brûlée de charniers permanents était inconfortable mais elle avait le mérite de le savoir en vie, ce qui allait brutalement et sauvagement changer dans les instants à venir. Il était en joue, le rideau allait tomber !
Il entendit le son des fusils ... c'était fini.

Fini ... bigre, c'est donc cela ? Ça fait ça quand on est mort ? Non parce que ... être mort comme ça, c'est vraiment presque pareil qu'être vivant ! Les cadavres de ses voisins ne témoignaient pourtant pas d'une telle vigueur. Eux semblaient avoir trépassé différemment, ou ... ou alors c'est lui, Lucien, qui s'était singularisé de telle façon que ... Mais oui, malgré le peloton d'exécution, malgré la fureur des fusils du dictateur du même nom, il venait de survivre. C'est à ce genre de signe qu'on peut croire qu'une légende se construit : survivre à la mort en 1944 face à des nazis désespérés, ceux qui ne croient pas au destin seront embarassés mais les faits sont imparables.
C'est parce qu'il a gardé son portefeuille bourré de pièces de monnaie à l'endroit de l'impact de la balle qui lui était destiné que Lucien Neuwirth a survécu.

Revenu d'entre les morts au prix de ce miracle, il devient conseiller municipal de Saint-Étienne en 1947, puis adjoint au maire jusqu'en 1965. Treize ans après avoir échappé à la mort, il fait la connaissance du mouvement Maternité heureuse, qui deviendra plus tard le Mouvement français pour le planning familial. Puisqu'il est responsable de la « commission d’assistance judiciaire » de la municipalité de Saint-Étienne, il parvient à prendre la mesure de la détresse des femmes subissant des grossesses non désirées. Ainsi se forge son opinion tenant à abroger la loi de 1920 criminalisant la propagande anticonceptionnelle. C'est d'ailleurs ce qui fera qu'au cours de son deuxième mandat de député de la deuxième circonscription de la Loire, il rédigera une proposition de loi dépénalisant la contraception et tentera de rassembler autour de lui d'autres députés gaullistes favorables à l'abrogation.

Les discussions seront violentes ... La majorité parlementaire de droite réagira de façon assez hostile mais qu'importe ... la « loi Neuwirth » légalisant la contraception est finalement votée le 29 décembre 1967. Les derniers décrets d'application permettant l'application entière du texte ne seront pris qu'en 1972.

Bien heureuses les pièces de ce portefeuille qui permirent à la société française d'évoluer un peu vers davantage de libre disposition du corps des femmes [et des hommes puisque les deux sont liés]. Lucien Neuwirth est décédé la nuit dernière. On entend dire qu'il a permis l'émancipation des femmes, c'est faux. Il aurait posé la première pierre de Mai 68, c'est encore plus faux. Lucien Neuwirth a juste fait preuve d'humanité et refusé que des femmes s'extraient de situations délicates sans se mettre en danger. En cela, il leur a permis de disposer d'elles-mêmes comme il a permis de casser cette idée d'une procréation incontournable. L'émancipation des femmes n'a pas commencé en mai 1968, le droit de vote leur ayant été donné à la sortie de la guerre. Si mai 68 avait tout réglé, cela se saurait et nous n'aurions pas eu à subir le régime de tutelle infligé aux femmes jusqu'en 1975 ... Si mai 68 avait tout réglé, d'autres formes de liberté propres à permettre à chacun de disposer de son corps n'auraient pas survécu jusque tard ... trop ... En faisant en sorte que des femmes puisse enfin disposer de leuir corps, il a permis que d'autres fassent de même, malgré les anathèmes ou les pertes de civilisation annoncées ...

Je voulais aujourd'hui te raconter l'histoire de Lucien Neuwirth ...

Tto, reconnaissant