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une vie de tto
3 octobre 2011

Cinq stations emportent parfois plus loin que prévu

Jeudi soir, il était pas loin de 23h quand, installés dans le métro sur la ligne 9, nous devisions avec Zolimari de ce que nous venions de voir ...

A Richelieu-Drouot, ce couple est monté : lui, Canard Enchaîné sous le bras, la démarche hésitante ... elle, maquillée comme les vieilles dames le font avec discrétion mais élégance ... Ils s'installèrent en face de nous, sur les strapontins. A Havre-Caumartin, un jeune couple est monté et c'est à ce moment là que quelques notes ont commencé à me remplir la tête, subjugué que je fus du spectacle qui s'est joué devant moi ...

Le jeune couple qui venait de monté était dans la fougue des premiers instants d'une jeunesse insolente et impudique. Elle, scotchée à son écran de téléphone, enlaçait son homme à la dégaine post-adolescente. Tout à fait banals, ils n'auraient pas retenu mon attention si je n'avais pas vu cette vieille femme en face de moi les regarder ...

Tandis que son mari parcourait avec fatigue un article du Canard, plus rien n'existait dans ce wagon que ce jeune couple et elle qui les regardait. Elle les dévorait des yeux, avec cette amertume d'avoir été à leur place il y a tellement de dizaines d'années. Les mains féminines qui parcouraient les fesses de ce garçon avaient été, jadis, les siennes. Les bisous et les rires furent, naguère, les siens et cette ivresse, elle l'avait vécue complètement. Ses beaux yeux bleus surlignés d'un trait de crayon reconnaissaient ces sensations éprouvées il y a si longtemps ...

En face d'elle, elle était tant concentrée sur les deux jeunes tourtereaux qu'elle ne remarqua pas que je la regardais avec insistance et passion : je trouve que les visages des personnes agées me racontent toujours une histoire extraordinaire. Et là, j'ai vu toutes les embrassades qui furent les siennes, toute la nostalgie qu'elle nourissait à présent en sachant parfaitement ce qui suivrait cet état de grâce : les chemins que l'on connait le mieux sont toujours ceux que l'on a foulés auparavant.

Les bouches de deux amoureux se rejoignaient et la vielle dame ne semblait pas choquée : elle dégustait, avec les délices d'une sagesse qu'elle regrettait presque, la danse des corps qui bouillonnent pour lesquels plus rien n'existe d'autre qu'eux-même avec un égoïsme dénué de vergogne. Elle croquait le manège en se projetant, en se rappelant qu'elle fut aussi amoureuse, que la vie vaut le coup d'être vécue pour cela ... surtout pour cela. Avec un voyeurisme propre au désir de toucher encore un peu des yeux cet étourdissement, elle a tout pris, tout observé, tout capté avec l'urgence que son âge commande : celui de n'avoir pas tant d'autres occasions que cela de revivre, même par procuration, ces égarements juvéniles.

Elles sont lourdes ces années dont l'accumulation prive de ces vertiges addictifs ... Cette dame prenait là une dose de nectar aux effets pervers, conjuguant le plaisir de fièvres connues avec le regret inconsolable d'avoir à passer irrémédiablement son tour.
Les amoureux sont descendus à Alma-Marceau ...

Les yeux de la vieille dame se sont teintés d'une tristesse désespérée de voir s'interrompre la magie qui l'avait transportée si loin, vers ces souvenirs enfouis, vers ces terres savoureuses dont elle connaît le suc. Elle les a suivis du regard jusqu'à ce que les portes ne se referment et que la marche têtue et inéluctable de la rame de métro ne permette plus jamais de les scruter. Alors, dans l'obscurité du tunnel, elle s'est retournée vers son mari toujours aussi concentré par de si intéressantes lectures l'ayant détourné de ces instants magiques qui eurent tant enivré son épouse ... Ses yeux se perdirent dans le noir du tunnel qui défilait sur la vitre, comme on se perd dans ses pensées, dans ses regrets, dans une tristesse qui ne durera pas longtemps .. juste le temps nécessaire pour cette fameuse sagesse régente à nouveau le rigoureux équilibre des choses, que la raison lui rappelle l'intangible place de chaque choses dans sa vie déjà bien avancée. On ne peut être et avoir été dit le proverbe ... Cruelle illustration, impitoyable démonstration.

Arrivés à la station "Rue de la Pompe", elle se leva, son mari la suivit ... elle descendit la tête bien droite encore ivre des succulentes images dont elle venait de se repaître ... L'élégance assurée, elle descendit du wagon ne se retournant pas derrière pour vérifier que son mari venait : elle savait que les choses sont ainsi faites, il marchait moins bien mais il lui emboîtait le pas. Il venait simplement d'échapper à un sublime instant privilégié qui lui avait, elle, redonné l'idée de paradis perdus ...

Avec le temps, dit la chanson, va tout s'en va ...

Tto, spectateur d'un magnifique moment d'émotion

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Commentaires
A
Merci pour ce beau texte, qui accessoirement nous permet de soupçonner Tto et Zolimari d'habiter entre rue de la Pompe et Pont de Sèvres, sur la ligne M9 ;-)
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J
un beau regard...sur le regard
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C
Après toutes ces images qu'elle a vu, ils descendent Rue de la Pompe. lol.
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M
OUAH ! Pour moi, pas de sentiment mitigé, que de l'émotion que tu as si bien ressentie.
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N
Sentiment mitigé à la lecture de ton post!<br /> D'un côté le fond... Léo Ferré... la vieille dame avec sa nostalgie... il un a un côté émouvant et attendrissant!<br /> <br /> Et de l'autre la forme, le vocabulaire : fesses, nectar, paradis, pompe, voyeurisme... je me suis même demandé si tu allais nous décrire l'orgasme discret qui a secoué cette vieille dame pendant que la rame pénétrait dans le tunnel obscur!
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