Ah ça ... je t'ai bien eu jeudi hein ? Outre le tour de passe-passe auquel tu t'habitues certainement venant de moi, il n'en demeure pas moins vrai que la surprise de me voir quitter cette World Company a pu potentiellement te prendre à contre-pied. Bah voila ... Laisse-moi donc te raconter dans quelques détails autorisés comment ça s'est passé ...

Il faut te dire que ton Tto est connu et bien connu dans cette World Company depuis ... 10 ans. Oui ... tu as bien lu, dix années, une décade, un dixième de siècle ... vu comme ça, ça fout un peu le bourdon, isn't it ? Il était donc temps de changer et ce à plusieurs égards. Déjà, changer parce que les gens avec lesquels on travaille commencent à avoir la tenace idée de te buter comme tu les empêches de faire toutes les conneries de la Terre ... et ça forcément, ça agace.

Changer aussi parce que la jovialité et l'ambiance détendue naguère constatée est à remiser au rayon des souvenirs poussiéreux et datés ... er que j'ai aussi besoin qu'on entretienne ma joie naturelle et mon entrain ...

Changer aussi parce que le passif devient trop pesant à force de vacances écourtées, de remarques bassement humiliantes auxquelles je n'ai jamais pu faire autrement que de répondre, de sentiment d'impuissance [que je gère toujours aussi mal], de problématiques tellement récurrentes qu'elles favorisent ma misanthropie qui n'a pourtant pas besoin de ça, d'horaires trop importants au regard de la reconnaissance ... et je t'en passe parce que je ne peux pas [encore] t'en raconter plus ...

Changer aussi parce que les emmerdes qui viennent et se rapprochent comme la meute de loups autour de la brebis isolée dans une clairière en pleine nuit me décident à ne pas associer mon image et mon professionnalisme à des dérives que j'ai pourtant dénoncé, au sujet desquelles j'ai averti mais on ne peut rien contre le sourd qui ne veut pas entendre [surtout s'il est polytechnicien ou normalien] et on ne peut pas grand chose contre l'incurie et la bêtise profonde ...

Changer aussi parce que je n'ai plus d'idée de petites remarques à l'endroit de ma secrétaire qui sera bientôt à la retraite[elle n'aura que six petits mois à faire sans moi ... ça devrait être gérable]... La dernière que je lui ai trouvé est sympa : "Vous êtes à cette World Company ce que le rose est aux flamants, consubstantielle". Là, elle m'a dit que vraiment ... ça devenait inquiétant ... Fini aussi de terroriser mon ex-coloc de bureau en défonçant sa porte à chaque fois que je vais le voir, fini de faire soudainement beaucoup de bruit dans les WC pour que celui qui se soulage ait peur et forcément s'en mette partout, fini de jouer avec le téléphone à appeler une cible choisie rarement au hasard et la faire tourner en bourrique en l'appellant 12 fois pour lui dire "Euh ... non non rien ..." ... Je te l'ai déjà dit : je suis une terreur, un fléau comme ils disent mais ils ajoutent aussi qu'au moins, avec moi, on bosse grave mais on rigole. Bah ouais ...

Changer parce que cela fait 10 années en effet et qu'au bout de dix ans [surtout lorsque l'on est aussi jeune que moi ... si si, tu peux le dire], on a besoin de voir autre chose et d'aller ailleurs pour se ressourcer et envisager les choses un peu différemment ...

Changer aussi parce qu'il n'est pas normal de rentrer le soir dans un état de fusion tel que Fukushima est un mini échauffement de rien du tout ... et en plus, dans ces cas là, cela m'empêche de partager comme je le voudrais avec Zolimari et comme la pression se mesure en giga-bars, j'ai un peu de mal à prendre du recul ... Or, rien n'autorise la World Company  à me pourir la vie en dehors de mes [trop longues] heures de travail ...

Changer parce que c'est le conseil que j'ai entendu de la bouche pulpeuse de Zolimari en décembre dernier, lorsque, couchés, je lui racontais ce qu'ils m'avaient fait dans la journée et qu'il m'a dit : "Si je ne te connaissais pas, je ne te croirais pas. Tu sais, ce n'est que du travail alors change avant qu'ils ne te bouffent, qu'ils ne t'écrasent. Pour toi, pour moi qui souffre aussi de te voir laminé ainsi ... il faut que tu partes." Le lendemain, mon CV était refait ... j'ai passé quelques entretiens, ai failli devenir directeur dans une banque mais je ne le sentais pas trop ce poste où ma mission était de dégommer les équipes en place [trop cool ...] et finalement ... je pars.

Changer enfin parce que j'ai besoin de travailler avec des gens normaux ...

Je pars oui ... évidemment, maintenant, ce n'est pour moi que du sucre puisqu'il va falloir me remplacer et que j'ai conscience d'être une pièce assez incontournable [même si certains se plaisent à essayer, on en revient souvent à moi ... ne serait-ce que pour réparer les grossières erreurs commises par ceux qui pensaient pouvoir me court circuiter] ... la voiture balais de ce que les autres ne voulaient pas faire soit par incompétence, soit par manque de couilles [oui ... je dois en avoir plus que d'autres]. A présent, il va falloir trouver celui/celle qui prendra ma place d'ici une petite quinzaine de semaines ... oui oui, tu as bien lu : va falloir recruter en juillet et août ... je m'en délecte à l'avance considérant que je n'ai évidemment aucune intention de m'impliquer là dedans ...

On pourrait croire que j'ai de la rancoeur ... Oui et non. Oui parce que je n'ai jamais accepté que l'on me prenne pour un con [d'où que cela vienne ... je suis à cet égard impitoyable] et là, la coupe est pleine. Donc, celle qui s'est crue affranchie de cette précaution va pouvoir ramasser son dentier après que je lui ai balancé ses quatre vérités lorsque je vais lui annoncer mon départ à mes conditions. Non parce que je suis serein ... Je suis que je suis dans le vrai et que les tartuffes qui s'appuyaient trop sur moi vont, à présent, pouvoir flipper de tous leurs membres.

Je tire ma révérence. Mais ne le dis pas trop fort, tout le monde n'est pas encore au courant [et surtout, pas ceux qui devraient déjà l'être ... mais à quoi sert-il d'être élégant avec ceux qui ne le sont pas ?]

Tto, en partance