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une vie de tto
18 février 2011

La vie devant soi

Cette nuit, j’ai lu un tweet qui disait : « Tu sais Jeannot, la mousse au chocolat c’est plus onctueux que la sodomie en milieu carcéral » … Je reconnais bien la verve de l’auteur de ces mots et j’aurais pu à loisir disserter pendant de longues minutes à ce sujet. Pourtant, je ne le ferai pas.
Voila pourquoi …

En raccrochant le téléphone, nous nous regardons un peu consternés d’avoir entendu ce que nous venons d’entendre. C’est quand même toujours singulier que le client que nous sommes soit finalement enterré par celui qu’il paye pour le défendre. Ce n’est pas la première fois ni la dernière [je suis sans illusion à cet égard], mais cela me met toujours autant en transes.

Alors que j’allais sortir de son bureau, il me retient …
- Heu … vous avez dix minutes ?
- Bien sur … que se passe-t-il ?

Je sais très bien de quoi il va me parler. Nos rapports sont suffisamment étroits depuis quelques mois pour que j’ignore le contenu de ce qu’il va me dire, je connais également le contenu de son agenda et c’est bien la raison pour laquelle j’ai courbé l’échine devant sa nervosité matinale. Je sais aussi que cela ne va pas durer que dix petites minutes, heureusement sinon j’en serais affecté. Je tire donc une chaise en face de lui, je pose mon dossier sur cette table que je connais par cœur, je m’adosse et je le regarde en lui laissant la main du discours. C’est bien normal, c’est son heure.

Le vieux renard joue immédiatement de la connivence, il sait que je ne suis dupe de rien, que je m’y attends, que s’est installé un jeu étrange entre nous depuis plusieurs semaines consistant à savoir lequel de nous deux annoncerait son retrait le premier. Dans douze jours, nous pourrons souffler les dix bougies de notre collaboration, donc nous nous connaissons bien.

Dans la vie, il est des relations fortes qui forgent. Indubitablement, celle-ci restera de cette nature. Nombreux furent les sujets qui nous ont opposés, multiples furent et seront nos points de désaccords, inconciliables demeurent nos visions de certains problèmes professionnels et extra-professionnels … mais de la diversité nait souvent la richesse. J’ai récusé obstinément ses discours moralisateurs, ses conceptions rétrogrades au sujet des mœurs et j’ai fini par éviter de discourir au sujet de la politique tant sa mauvaise-foi devenait impossible à gérer. Je me suis aussi amusé à le provoquer avec mes cravates roses, j’ai accepté qu’il m’appelle le « zoziau » parce que j’y ai vu de l’affection [il faut dire que je me plaisais à le bousculer un peu aussi en l'appelant par derrière "le Gros Moi-Je"], j’ai écouté [sans pouvoir tout retenir] ses bons conseils et j’espère en avoir retenu.

Ce soir, j’entends les mots auxquels je me suis préparé depuis plusieurs semaines tant les signes devenaient assez évidents. Et pourtant … chaque mot prononcé résonne comme une partie de cette page qui se tourne. Elle est étrange cette sensation … cette idée que le voyage va se poursuivre mais que lui va descendre bientôt du train.

Le glas vient de sonner dans la torpeur de ce jeudi soir dans une World Company déserte à raison de vacances d’hiver … Il est 18 heures bien passées et j’observe derrière lui le jour se retirer, le crépuscule prendre place comme si la mise en scène était étudiée à l’extrême.

Dans quelques mois, il sera parti, une page sera tournée … je suis le premier à être au courant [ce qui me flatte], sa décision est prise … Il me demande ce que j’en pense nonobstant le fait que sa décision est irrévocable. Avec ma belle voix apaisante, je réponds ce que j’avais prévu de lui dire : « Vous savez, je reste persuadé qu’il y a un temps pour tout dans la vie. Cela fait plus de quarante ans que vous travaillez, l’heure est certainement à vous consacrer à autre chose, notamment vos petits enfants qui ne vont pas vous attendre pour grandir. »

Nous allons rester à évoquer son parcours [comme nous l’avons si souvent fait] et puis, il me regarde et m’interroge directement. « Et vous alors ? »
Moi ? Les choses sont claires depuis très longtemps : je ne lui survivrai pas longtemps dans cette World Company. Mon départ est programmé dans ma tête, il ne reste plus qu’à lui donner une consistance au moyen d’une autre aventure. Aujourd’hui, il était mon rempart, celui qui m’assurait encore le peu d’étanchéité face aux agressions extérieures, celui qui surjouait de sa position paternaliste qui m’allait bien. J’aurais vocation à le remplacer, ce serait logique. En ai-je envie ? Probablement pas …

Hier soir, il a enfin pris sa décision dont je sais qu’elle est réellement une petite mort de son point de vue, de la fenêtre de celui qui a trop considéré que son boulot était toute sa vie.
Je suis heureux d’avoir été là pour entendre ce qu’il m’a dit. C'était très digne, comme souvent avec lui. Il m’a beaucoup appris, il m’a donné le goût d’une certaine rigueur que je n’atteindrais jamais, il m’a fait entendre de bien jolies notes de musique.

En rentrant hier soir, j’ai repensé à ces dix années et tout ce qui s’est passé … « Vous verrez quand vous aurez mon âge, vous vous souviendrez peut-être de ce que je vous dis là … Moi, je mangerai les pissenlits par la racine mais vous constaterez qu’une vie, ça file trop vite. » Dix années sont passées et je ne les ai pas vues défiler.
Hier soir, nous étions sur le pas de la porte sur laquelle on est tenté de faire des bilans. Hier soir, j’ai eu la confirmation que je n’en avais plus pour très longtemps là où je suis. La meute ne va pas tarder à se mouvoir en ma direction mais je ne lui ferai pas cette joie, je lui ferai faux bond.
J’ignore si nous formions un bon tandem mais les 31 ans qui nous séparent n’étaient pas un obstacle. Il sera temps plus tard de le remercier et de le revoir. Je suis un garçon fidèle. Je suis aussi un garçon qui est reconnaissant qu’il m’ait donné ma chance.

Enfin, je me rends compte que j’aime les gens qui me racontent des histoires, celles de leur vie.

Tto, qui va bientôt s’envoler

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Commentaires
O
Quand tu veux on discute de ton avenir professionnel
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J
C'est un bien beau billet, j'aime quand tu écris ainsi, c'est touchant.
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J
Je n'ai pas envie de dire grand chose à part ceci : merci Tto de ce beau billet :-)
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N
Comme j'aime ta pudeur ! J'aurais d'autres choses à ajouter, mais ce serait inutile, puisque résumé dans ton titre.
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W
Inutile de dire que je trouve ce billet très beau. Une tranche d'un vie de Tto si bien contée...<br /> Il y a effectivement des rencontres qui marquent, assurément...
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